Il est bien entendu illusoire d’attendre de la part d’Echo and The Bunnymen qu’ils atteignent à nouveau les sommets des années 80, 90 ou même 2000, et la voix de Ian McCulloch n’est ce qu’elle était. Reste que leur concert d’hier soir au Trianon a été réussi, grâce à une belle seconde partie et un Ocean Rain final de toute beauté.
Echo and The Bunnymen, pour moi, ce n’est pas n’importe quel groupe, c’est une formation des années 80 qui m’est chère, parce qu’au sein d’une new wave anglaise qui privilégiait les mélodies pop et les synthés, ils avaient affirmé la prépondérance des guitares et des atmosphères psychédéliques. Parce que la voix de Ian McCulloch m’a longtemps semblé l’une des plus belles dans le Rock (d’ailleurs Ian, qui a pourtant eu la dent dure avec bien des musiciens, était un fan transi de Cohen, ce qui fait du sens…). Et parce que je considérais et considère toujours Ocean Rain comme l’un des plus beaux albums de l’histoire du Rock. Echo, c’est un groupe que j’ai régulièrement admiré sur scène, dans différents pays, au cours de décennies qui ont vu d’autres, moins doués, accéder à ce succès populaire qui a toujours ignoré Ian McCulloch, Will Sergeant et leurs musiciens. Il m’est resté une véritable tendresse pour cette grande gueule qu’est Ian, et un profond amour pour ces chansons qui semblent, elles, ne pas vieillir. Ce soir, au Trianon, ce sont pour moi des retrouvailles émues avec un groupe que je n’ai pas vu en live, cette fois, depuis dix ans. Un groupe dont le dernier album original, Meteorites, date justement de 2014, et qui est donc clairement passé en mode « cover band de son propre répertoire », ce qui n’est jamais bon signe.
19h30 : la soirée commence avec Erica Nockalls, chanteuse et violoniste, qui apparaît en format duo, accompagnée d’un guitariste, jouant sur des beats préenregistrés. Que dire ? Erica impressionne par sa présence physique imposante et par sa voix, très puissante. Le problème, on le réalise rapidement, vient de sa musique, qui oscille entre grandiloquence martiale et atmosphère planante bruitiste, sans qu’on arrive – du moins à première écoute – à identifier quelque chose, chanson ou même simple construction, qui retienne notre attention. Erica chante bien – avec une petite tendance quand même à trop en faire -, joue bien, et son guitariste est convaincant, mais on a l’impression gênante qu’il ne se passe rien de particulier sur scène. Bref, on s’ennuie rapidement. Il n’est même pas sûr qu’on ait envie d’aller voir sur disque de quoi il retourne…
20h30 : on est un peu inquiet pour le set de ce soir : Ian McCulloch n’a pas participé au sound check, il aurait des problèmes de voix, qui viennent s’ajouter à la dégradation de son chant au cours des dernières années (même s’il ne fume plus sur scène depuis un moment…). Va-t-il tenir le coup, aidé par la division d’un set pourtant pas particulièrement long (1h30 en tout) en deux parties séparées par 20 minutes d’entracte ? Des boissons sont disposées derrière lui, pour qu’il puisse s’hydrater / se soigner… et il toussera un peu durant les premiers titres… Avant de récupérer progressivement une certaine maîtrise de sa voix, même si on est désormais très loin du chant magnifique de ses jeunes années.
Le premier set s’avère assez déroutant, avec une approche basiquement « rock » des chansons : des claviers bien présents, un batteur qui tape dur (ses roulements sur All That Jazz sont finalement embarrassants !) : on est d’abord intéressé par cette présentation de morceaux bien connus, pour la plupart extraits de la première époque du groupe, qui offre un certain renouvellement musical, assez loin du son historique d’Echo and The Bunnymen. Mais on se fatigue vite de cette approche « rentre dedans » qui laisse derrière elle la poésie traditionnelle des chansons. Il reste néanmoins, au milieu de cette première partie pas tout à fait au niveau espéré, un passage blues rock étonnant, avec l’inclusion d’un extrait du RoadHouse Blues des Doors et du Jean Genie de Bowie au milieu de Villiers Terrace, et surtout un All My Colours (Zimbo) formidable, sur lequel Ian reprend clairement pied et vient nous rassurer.
Les vingt minutes de pause font malencontreusement retomber l’ambiance, au sein d’un public qui est de toute manière bien calme. Mais le retour des musiciens change ensuite complètement la donne : dès le rare Show of Strength, bien nommé car tout en puissance, et la version très réussie de Over the Wall qui suit, on a l’impression de retrouver le Echo de la meilleure époque. A la guitare, Will Sergeant fait un boulot impressionnant, reléguant les quatre musiciens d’appoint à leur place d’accompagnateurs anonymes : ils sont d’ailleurs placés à l’arrière de la scène, presque invisibles dans l’obscurité. Bien sûr, il est inutile de dire que, comme souvent avec Echo, les lumières sont atroces, rendant l’exercice de la photo quasi impossible. Mais, et c’est le plus important, le son est excellent, même aux premiers rangs, grâce peut-être aussi au recul imposé par des crash barriers placées assez loin de la scène.
Succède un intermède plus calme avec le beau Nothing Lasts Forever, incluant un couplet du Walk on the Wild Side de Lou Reed, qui permet à Ian de nous faire chanter les rituels « Do do do ». McCulloch est d’humeur franchement badine ce soir, même si le comprendre quand il plaisante reste un défi difficilement surmontable : on est loin de sa posture traditionnelle de distance plus ou moins arrogante… Il introduit « la meilleure chanson jamais écrite », the Killing Moon : pas modeste, le Ian, on le sait, mais il faut lui reconnaître de la constance car il répète cette opinion péremptoire depuis 1984 ! Personnellement, au risque de le fâcher, je préfère The Cutter, un morceau absolument magistral, qui clôt le second set.
Le rappel nous offre une longue version de Lips like Sugar, un mini-tube dont on n’a jamais vraiment compris l’intérêt – même si Sergeant s’y confirme un guitariste éblouissant. Et le groupe quitte la scène ! Heureusement, il y aura un second rappel, avec l’inévitablement sublime Ocean Rain, sur lequel Ian se bat constamment avec sa voix, qui n’a plus la force d’autrefois, et dont il doit jouer pour franchir les passages les plus difficiles de la chanson. Et pourtant, pourtant, l’explosion lyrique de la dernière partie fonctionne toujours : « My ship’s a-sail / Can you hear its tender frame / Screaming from beneath the waves… ». Les larmes nous montent aux yeux comme il y a quarante ans, quand nous avons entendu la chanson pour la première fois.
C’est gagné, juste au dernier moment, mais c’est gagné !
Ce concert ne restera pas parmi les meilleurs que nous ayons vus du groupe, mais le plaisir a été là. Un plaisir trop bref, car vingt minutes de plus auraient été les bienvenues, consacrées par exemple au répertoire plus récent du groupe, quasi totalement ignoré ce soir. Car, pour prendre l’image footballistique utilisée par Ian pour expliquer qu’il y aurait une pause entre les deux mi-temps, le foot, ça se joue en deux fois quarante-cinq minutes, suivies de prolongations, non ?
Texte et (mauvaises) photos : Eric Debarnot