On critique Netflix, souvent à juste titre, mais reconnaissons qu’il fallait du courage, et peu de folie peut-être, pour vouloir adapter en série TV « populaire » le chef d’œuvre de « hard science » de Liu Cixin, Le problème à 3 corps. Un défi impossible mais plutôt bien relevé…
Tout le monde sait depuis la sortie de la nouvelle grande série « de prestige » Netflix, Le problème à 3 corps, qu’il s’agit de l’adaptation « à l’occidentale » d’un livre désormais considéré comme l’un des chefs d’œuvre absolus de la SF (oui, au niveau de Fondation ou Dune, déjà adaptés en série ou en film, d’ailleurs…), ayant reçu le Galaxy Award en 2008 et le Prix Hugo en 2015 : un roman-fleuve en 3 tomes de « hard science », c’est-à-dire un sous-genre de la SF où la science prend le devant sur la fiction, d’un auteur chinois, Liu Cixin. On sait qu’adapter un grand livre relève du défi impossible, et que c’est la plupart du temps prêter le flanc aux critiques les plus sévères de la part de millions de fans qui ne retrouveront pas à l’image les personnages ou l’histoire qu’ils aiment : rajoutons la piètre réputation de Netflix, plateforme souvent accusée de vulgarité et populisme – ce qui n’est pas faux -, et on n’attendait pas forcément grand-chose de ce Problème à 3 corps, que beaucoup attendaient au tournant après la sortie en Chine d’une série forcément plus fidèle au livre, puisque racontant (plus ou mois) la même histoire en 30 épisodes (!) de 45 minutes…
Annonçons-le d’emblée, nous n’avons pas (encore) lu le livre, ce qui nous évite les innombrables, et finalement assez stériles, comparaisons entre le texte original et le travail de DB Weiss et David Bernioff (qui avaient tous deux réalisé une bonne adaptation de Game of Thrones, on le sait…), rejoints par Alexander Woo. Nous avons simplement compris que cette première saison du Problème à 3 corps adapte le premier tome de la trilogie (qui serait celui où il y a le moins « d’action ») en y injectant quelques éléments du tome suivant. Et que, bien entendu (?), de totalement chinois, les personnages sont maintenant répartis entre la Chine et le monde anglo-saxon, permettant en toute logique une bonne réception un peu partout sur la planète, ce qui est clé pour que Netflix puisse rentabiliser ses gros investissements dans une série riche en effets spéciaux.
Après une impressionnante scène d’introduction qui rappelle les horreurs de la révolution culturelle dans les années 60 et va « justifier » la décision ultérieure de la jeune et géniale scientifique Ye Wenjie de « sacrifier » une humanité en laquelle elle a perdu toute confiance, nous nous retrouvons projetés à notre époque, alors que tous les accélérateurs de particules de la planète donnent soudainement des résultats incompréhensibles qui invalident toutes les théories scientifiques à date ! En parallèle, la police enquête au niveau international sur une vague de suicides incompréhensibles de chercheurs, universitaires et scientifiques.
Il vaut mieux pour quiconque n’a pas lu les livres de Liu Cixin ne pas en savoir plus, pour pouvoir se prendre de plein fouet une suite de révélations assez renversantes, qui font le sel du Problème à 3 corps. Même si l’histoire avance au fur et à mesure de la résolution d’énigmes complexes, on ne saurait nullement qualifier la série de divertissement facile : plusieurs épisodes sont longuement centrés sur les personnages et leurs rapports entre eux, nous permettant de nous attacher à certains, pour être d’autant plus choqués quand il disparaîtront (le syndrome de Game of Thrones ?). A l’inverse, et cela fait rager les adeptes du livre, les scénaristes ont simplifié la partie « scientifique » du récit, ce qui l’appauvrit certainement, et met par endroit sa logique interne en danger, mais on voit difficilement comment faire autrement sans perdre la majeure partie des téléspectateurs !
Ceci ne veut pas dire pour autant que Le problème à 3 corps manque de moments impressionnants, spectaculaires ou stupéfiants : la figuration d’un ordinateur analogique constitué de dizaines de millions de soldats, et l’échec de la résolution du « problème à 3 corps » qui s’ensuit, est un moment incroyable dans l’épisode 3, tandis que la scène du Canal de Panama dans le fantastique épisode 5, sans même parler de la conclusion de ce même épisode, constituera l’un des plus grands moments de télévision de l’année 2024, sans aucun doute.
Nous voilà donc avec ce que certains pourront critiquer comme une adaptation insuffisante d’un chef d’œuvre littéraire, mais que la plupart des téléspectateurs de la planète considéreront comme une nouvelle très, très grande série TV, dont on attend la suite avec impatience.
Eric Debarnot