Howard Phillips Lovecraft est un écrivain maudit. À l’image du poète maudit, plus fréquent, l’écrivain maudit connait la misère, le rejet, la maladie, une fin précoce et un succès post mortem. Son destin de se rapproche de ceux d’Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine, ou d’Edgar Allan Poe et du Marquis de Sade.
Avouons que 404 Graphic produit de beaux ouvrages. Admirez la somptueuse couverture rouge sang aux marquages dorés, comme posés au fer à chaud, l’épais papier de 170 grammes et l’impression soignée. C’est lourd et c’est beau.
10 mars 1937. Hospitalisé dans sa bonne vieille ville de Providence (Rhode Island) pour un cancer, Lovecraft est moribond. Afin de soulager ses douleurs, le médecin lui prescrit une ultime injection de morphine. Il s’apprêtait à mourir seul et oublié, quand Randolph Carter se présente et s’engage à raconter sa dernière nuit. Carter est l’un ses personnages. Loin d’être un super-héros, cet écrivain raté est un rêveur mélancolique et sensible, qui, confronté au surnaturel menaçant, se révèle courageux. La dernière nuit de Lovecraft sera agitée, il retrouvera son ex-femme, Houdini, l’homme qui aurait pu lui a apporter le succès, Nyarlathotep, le messager des autres dieux, puis d’autres ombres encore, avant de croiser trois monstres sacrés. Dans une savoureuse scène, afin d’assurer sa notoriété, Alan Moore, Stephen King et Neil Gaiman s’engagent à mettre de l’ordre dans sa production.
À l’opposé des trop sages biographies linéaires, le scénario de Romuald Giulivo mêle adroitement faits historiques et délires opiacés. L’auteur est soumis à la tentation de réécrire sa vie, que ce soit pour bâtir un amour conjugal, obtenir un succès littéraire ou pour mériter la reconnaissance de ses pairs. Au final, sa vie compterait moins que sa légende, or seul l’écrivain possède le pouvoir de rédiger sa propre légende. Toutefois, Lovecraft n’aspire qu’à disparaître, à retourner définitivement à la matière.
Le travail de Jakub Rebelka est extraordinaire. Ces personnages sont rugueux, sombres et froids. Ses décors hallucinants enchevêtrent l’Amérique des années trente à l’univers ésotérique du Cycle onirique et du Mythe de Chtuluh. Sa peinture s’articule autour d’un gris glaçant et d’un rouge sang. Belle trouvaille, les yeux vides et pourpres de Lovecraft nous ouvrent un accès sur sa fabuleuse imagination. Le voyage sera éprouvant, mais inoubliable. Laissez-vous tenter !
Stéphane de Boysson