Trente ans après le suicide de Kurt Cobain, Marc Dufaud entreprend d’évoquer ce dernier au travers de ses marottes musicales. Livre imparfait, Le monde fabuleux de Kurt Cobain vaut pour ce qu’il rappelle du rapport difficile au succès de l’icône grunge.
Le Monde fabuleux de Kurt Cobain pose la question de savoir si un livre vaut pour l’expérience de sa lecture ou la manière dont il infuse après coup. En apparence, l’angle d’attaque de Dufaud est singulier : raconter Cobain par les artistes musicaux et écrivains qu’il a aimés, repris, pris comme premières parties ou juste côtoyés. On y croisera entre autres la vague Riot Grrrls, Henry Rollins, l’Iguane, Burroughs comme seul écrivain du lot et le rock indépendant anglais.
Sauf qu’en voulant en apparence s’écarter des conventions, Dufaud finit par refaire ce qu’il a déjà fait pour Darc et Bowie. L’introduction a le style ampoulé de certains moments du bouquin sur Darc, mais heureusement la hauteur du fan finit par reprendre le dessus. Le sens du détail pour évoquer les inimitiés avec Axl Rose et Eddie Vedder ou la biographie des groupes fétiches de Kurt est le même que pour évoquer les sessions d’enregistrement d’Ashes to Ashes. Il est question de la manière dont la musique sa partageait dans les années 1980, avec cette cassette, outil de découverte musicale, alors vue par les Majors comme une menace pour l’industrie du disque. Toute ressemblance avec le streaming… Il est question du Punk s’opposant à l’aristocratie rock des années 1970, de la manière dont la scène alternative US se réapproprie le mouvement à retardement. Il est question d’un Music Business dans lequel MTV se tourne vers l’alternatif pour trouver un second souffle. Et des groupes indie finiront par se reformer avec plus de succès que lors de leur première vie.
Justement, le cœur du livre, qui prend de l’importance une fois la lecture achevée, se situe dans la collision entre le succès de Nirvana et les convictions punk et féministes de Cobain. Le Punk est ainsi un déclic pour Cobain qui se met à voir de la misogynie chez ses idoles Aerosmith et Led Zeppelin. Oui mais… la singularité du Grunge par rapport au Punk se situe dans l’influence de ce Hard Rock qu’il aime un peu moins qu’avant, comme le rappelle justement Dufaud.
Derrière la rage et le mur du son, il y a cependant un cousinage entre lui et un certain rock indépendant britannique des années 1980 sur le terrain de l’anti-rock star, de la dépression adolescente et de la posture anti-machiste. Mais une partie non négligeable du public de Nirvana de l’époque n’est pas vraiment là pour ça. Pour punir le traitement sexiste par l’assistance du groupe 100% féminin Calamity Jane en première partie, Cobain, retrouvant sa détestation des instincts grégaires, voulut punir le public de Buenos Aires en ne lui offrant pas les morceaux qu’il attendait. Sauf qu’en 2024 les personnes présentes s’en souviennent-elles comme d’une leçon… ou comme le moment inoubliable où elles ont vu en live un légendaire suicidé du Rock ? De toute manière, recevoir l’amour de gens avec lesquels on ne passerait pas ses vacances est la définition du succès.
Un rapport inconfortable au succès illustré par l’épisode Unplugged in New York : Nirvana accepte l’émission pour rassurer sa maison de disque. Mais le groupe jouera des reprises de morceaux peu connus et non ses tubes. Une tentative de sabotage qui ironiquement renforcera la légende du groupe une fois Kurt décédé. Cobain enviera d’ailleurs la manière dont REM gère son succès. Sauf que, bien qu’engagé politiquement, Stipe n’a jamais rêvé de rééduquer son public. Et que, puisant ses racines musicales du côté des Byrds, le groupe n’avait pas à gérer des modèles musicaux à la fois idoles et repoussoirs.
Le livre me convainc moins lorsqu’il essaie de démythifier Cobain. Par exemple lorsque ce dernier falsifie son histoire comme la star de base. Car oui, c’est nettement plus cool de raconter que les Melvins fut son premier concert plutôt que… Sammy Hagar. Il faut dire que Cobain n’a jamais eu pour moi l’aura divine d’un Bowie ou d’un Iggy Pop. Il fut juste celui qui accomplit le job nécessaire de liquidation du Rock mainstream des années 1980. Et celui qui ringardisa, me concernant, les Guns’n’Roses en sortant un classique instantané quelques jours à peine après leur double album trop long et en partie boursouflé. C’est déjà beaucoup, certes. Mais rien à désacraliser de mon côté.
En 2024, Nirvana est désormais un groupe dont le T-Shirt est arboré comme peut l’être celui du Che. La scène Emo Rap, courant du Hip Hop porté sur la dépression adolescente, se réclame du groupe phare du grunge. Dufaud rappelle, de manière certes imparfaite, que Cobain fut aussi un frontman ayant vécu le succès comme une quadrature du cercle et un passeur musical.
Ordell Robbie
Salut, il cite au moins Les Thugs dans son bouquin ?
La première partie française de Nirvana par le groupe est mentionnée. Et c’est tout.