Après une paire d’album décevants où les Black Keys semblaient s’enferrer dans une formule usée, Ohio Players est le disque du changement qu’on attendait. Avec une direction franchement pop, le groupe choquera peut-être ses fidèles de la première heure, mais avance à nouveau…
Il y a deux ans, la parution de Boogie Dropout, un disque particulièrement dépourvu d’imagination, nous avait fait jurer qu’on ne nous y reprendrait plus : bye bye, The Black Keys ! Et puis nous voilà tout heureux de trahir notre promesse, et de poser ce nouveau disque, Ohio Players, sur notre platine, alléchés par l’annonce de collaborations diverses mais notables (Beck, Dan The Automator, Noel Gallagher, etc.), pouvant aider le duo à aller jouer sur d’autres terrains que leur blues rock commercial ou traditionnel, mais définitivement fatigué.
Et de fait, dès l’introduction de This Is Nowhere, co-écrit par Beck, on est… « ailleurs »… et probablement, sas vouloir offenser qui que ce soit, dans un genre musical caractéristique de… Beck, justement : c’est pop, c’est gai, c’est frais. C’est aussi (presque) moderne ! Du coup, on ne saisit pas trop la référence du titre de l’album aux Ohio Players, un groupe de funk des années 70 ! Don’t Let Me Go confirme l’emphase mise sur les mélodies pop, tout en sonnant quand même plus « classique » : une jolie chanson, dont on aura plaisir à reprendre en chœur le refrain lors du prochain concert de Auerbach et Carney à Paris (« No, don’t let me go, it gets so cold / When I get back home, I need your love / The warmth of the sun, your arms around me » – Non, ne me laisse pas partir, il fait si froid / Quand je rentre à la maison, j’ai besoin de ton amour / La chaleur du soleil, tes bras autour de moi). Beautiful People (Stay High) braconne franchement sur les terres d’un Kasabian de la grande époque (même si c’est Noel Gallagher qui se joint au duo sur cette chanson…). On The Game, presque Beatles, continue cette visite à la pop anglaise millésimée sixties. Le stomp « glam rock » que les Black Keys ont toujours affectionné, revient en force sur un Only Love Matters néanmoins plus sucré que scintillant derrière sa lourdeur assumée. L’intervention du rapper Lil Noid pour conclure Candy and Her Friends montre l’adaptabilité de Auerbach à des courants musicaux contemporains, mais ne change pas fondamentalement l’orientation d’une chanson gaie et lumineuse. I Forgot To Be Your Lover, reprise d’un classique de chez Stax, referme la première face dans une démonstration de soul suave, un genre habituel aux Black Keys.
Please Me (Til I’m Satisfied) est également du pur Black Keys, toute guitare fuzz en avant, y compris les paroles « sexistes » qui semblent véritablement d’une autre époque : « Well now girl, I know you understand / I’m satisfied to be your loving man /
Everybody said you’ll bring me to my knees / … / I said, please, please, please me till I’m satisfied » (Eh bien maintenant, ma fille, je sais que tu comprends / Je suis satisfait d’être ton amant / Tout le monde a dit que tu me mettrais à genoux / … / Je dis, s’il te plaît, s’il te plaît, fais-moi plaisir jusqu’à ce que je sois satisfait). Un clair pas en arrière par rapport à ce qui a précédé. You’ll Pay, un morceau excessivement sixties, donne irrésistiblement envie de se trémousser sur son refrain facile, et c’est ma foi bien agréable. Paper Crown est l’un des titres les plus aventureux, ou les plus modernes en tous cas, avec l’ami Beck franchement aux commandes (et aux lead vocaux), de très belles montées en intensité, atypiques du groupe… et l’inclusion (plus organique cette fois, avec un belle intervention de guitare) du rap de Juicy J dans sa seconde partie : sans doute l’une des plus franches réussites de l’album. Live Till I Die nous remémore – ce qui n’est pas inutile à ce stade – que les Black Keys savent jouer du rock psyché bien décontracté aussi bien que les Dandy Warhols. Read Em and Weep est l’un de ces titres plus faibles qu’on a l’habitude de placer en milieu de seconde face, mais n’est pas désagréable pour autant, avec son ambiance « à la Tarantino« . Fever Tree, bien plus accrocheur, fait remonter l’intérêt avant la conclusion mi-nostalgique, mi-heavy de Every Time You Leave, que l’on peut aussi lire comme une parfaite petite synthèse de différents styles abordés sur le disque, sur un riff facilement mémorisable.
Sans marquer un départ vraiment radical par rapport aux racines du groupe, Ohio Players bénéficie d’un esprit réellement festif qui faisait défaut jusqu’alors au travail de Carney et Auerbach, ainsi que de l’ouverture d’esprit apportée par les amis qui ont collaboré à sa confection (Beck en premier lieu, sans doute). Bref, The Black Keys sont toujours The Black Keys, mais « with a little help from their friends », ils sont plus franchement aventureux ici, et, surtout, ils donnent l’impression de réellement s’amuser. Une seconde jeunesse ?
Eric Debarnot