Entre un scénario aussi pauvre que redondant et un Tom Cruise passablement irritant, La couleur de l’argent ne porte la « griffe Scorsese » que durant quelques scènes de billard. On patiente en attendant la suite…
Dans sa première réplique, Paul Newman évoque la couleur : passation habile des 25 ans qui séparent La couleur de l’argent de L’arnaqueur, qui offrait en noir et blanc les premiers déboires initiatiques de Fast Eddie, le champion de billard au talent démesuré doublé d’un comportement ingérable. Le passage d’une génération fait désormais de lui un mentor pour le disciple Tom Cruise, parfaitement insupportable, au point qu’on se demande si le rôle lui demanda des efforts.
Les années 80 ravagent bien des aspects du modèle : couleurs rutilantes, jeunesse crâne et coke succèdent à un âge d’or dont on n’est pas trop nostalgique. La femme, surtout, a changé de rôle, passant de victime à entrepreneuse, s’associant au vieux briscard pour canaliser le chien fou ivre de victoire.
L’intrigue est la même que dans L’arnaqueur : on y parlait de talent et de tempérament, on les remplace cette fois par « brain and balls ». Vincent doit apprendre à perdre pour ménager une victoire à plus long terme. C’est là l’aspect le plus pénible du film : non seulement dans sa propension à répéter l’original, mais aussi et surtout dans sa redondance interne. Leçons non apprises, échecs structurants, menaces constantes d’abandon ponctuent ad nauseam une trame narrative bien pauvre.
On en oublierait le cinéaste aux commandes, qui a pourtant le bon goût de se rappeler à intervalles régulier à notre bon souvenir : Scorsese filme les parties de billard avec la même ferveur qu’il traitait la boxe dans Raging Bull. Multiplication des angles, plans-séquences circulaires, prises du vues au ras du tapis, tout est mobilisé pour dynamiser un film qui serait sans cela moribond.
Ce souffle, cet enthousiasme (desservi par une musique presque aussi poussive que les personnages) occasionnent un certain répit, et entrent curieusement en résonance avec les personnages : incapables de s’avouer vaincus, enclins à l’ostentatoire et au panache, toujours prêts à démontrer que celui qui perd ne le fait que parce qu’il a une longueur d’avance….
On n’ira pas jusque-là en ce qui concerne ce chapitre de la filmographie de Scorsese, mais force est de constater qu’il est à l’aube d’un nouvel âge d’or, celui des années 90…
Sergent Pepper