Le héros de la saga du maître islandais du polar, Arnaldur Indridason, montre ses plaies familiales et son côté vraiment sombre pour ce cinquième et dernier volet, qui évoque les traumatismes de l’après-guerre sur l’île.
On retrouve Konrad, notre policier islandais préféré, désormais à la retraite, en proie dès le début du roman à ses vieux démons. Quand il s’occupe d’une veuve qui découvre un pistolet de la Wehrmacht dans les affaires de son mari décédé, il ne peut s’empêcher de se souvenir de son père qui possédait le même. Ou peut-être est-ce celui qui lui appartenait quand il avait été accusé de meurtre. Qui plus est, un pistolet qui ne pouvait avoir été rapporté en Islande que par l’armée américaine sur la base construite après la seconde guerre mondiale… cela paraît obscur de prime abord, et ça l’est : le premier tiers des Parias s’échine à rassembler tous ces pièces de puzzles aux multiples protagonistes, ce qui fait un peu perdre pied au lecteur, pourtant féru des enquêtes de Konrad. Il faut donc s’armer de patience pour déblayer le terrain scénaristique dans lequel on est embarqué quasi de force.
Et puis… les contours du polar classique s’estompent au fur et à mesure des souvenirs d’enfance qui ressurgissent. Lentement, de manière obsessionnelle, l’auteur décide de réactiver les fantômes poisseux d’une histoire islandaise qu’on cache : une époque sombre où les homosexuels étaient pourchassés, les actes pédophiles étaient légion même si camouflés, où les habitants devaient laisser faire l’innommable sous peine d’y rester… À travers le caractère taciturne de cet ex-policier au passé familial trouble, Arnaldur Indridason cherche à en découdre avec son pays qui n’a pas toujours été à la hauteur, piégé par une géopolitique de l’après-guerre où les positions de force n’étaient pas en Europe du Nord.
Les Parias ravive ainsi des plaies sociétales qui dépassent largement l’affaire criminelle du début de livre. Et le résultat est étonnant, sombre et violent comme rarement dans l’œuvre de l’écrivain. On cherche même une passage un peu lumineux dans cette descente aux enfers, il ne viendra jamais : dans les tourments d’un hiver interminable, avec blizzards, neige et glace et ciel noir sans fin, les âmes ne sont pas plus paisibles. Tous les personnages sont tourmentés, nauséabonds ou complices malgré eux des actes violents perpétrés par leurs proches. Un « no future » bileux, magnifié par l’écriture puissante d’Indridason, et son Konrad, antihéros parfait dont c’est le dernier round assumé, comme un lent uppercut qui nous laisse hagards et désœuvrés.
Jean-François Lahorgue