Il faut se pincer fort, très fort, pour croire que c’est Ethan Coen qui a réalisé Drive-away dolls, tant le film donne l’impression d’avoir été mis en scène avec les pieds. Que tout a l’air d’une mauvaise blague, que tout est laid, inconsistant et rarement drôle.
C’est donc à son tour, à Ethan Coen, de réaliser son long-métrage en solo, deux ans après celui de Joel (The tragedy of Macbeth). Et allait-il nous éblouir, lui ? Allait-il faire mieux, vu le résultat peu concluant livré par le grand frère ? Pas de chance : Drive-away dolls est pire, si c’était possible (et ça l’est), que The tragedy of Macbeth. Pire encore (et ça l’est aussi) : le film est annoncé comme le premier volet d’une trilogie « de films de série B lesbiens ». Co-écrit avec Tricia Cook, compagne d’Ethan Coen à l’identité queer revendiquée, à partir d’un vieux script datant d’une bonne vingtaine d’années (ceci expliquerait donc cela ?), le film suit les (més)aventures de deux jeunes lesbiennes en mode road trip (l’une extravertie, l’autre introvertie, comme c’est original…) embarquées malgré elles dans une histoire de mallette mystérieuse et de tueurs à gage empotés.
Le fait qu’ici tout est daté, que tout a l’air d’une mauvaise blague, que tout est laid (on en parle de ces affreux intermèdes psychédéliques ?), inconsistant et rarement drôle (le film tente vainement de retrouver l’esprit déluré du meilleur des comédies coeniennes, à savoir Arizona junior et The big Lebowski), que tout ressemble à un film d’étudiant en cinéma libidineux que les lesbiennes font fantasmer et qui se prend pour un cador et qui n’aurait pas digéré ses trois millions de références cinéphiliques, d’Aldrich à Tarantino en passant par Waters, Meyer et les Coen (quitte à citer, autant s’auto-citer), en les vomissant à l’écran sans aucune humilité ni volonté de faire hommage, ce fait, donc, est indubitable. Le récit n’est qu’un empilement de gags mollassons, de situations déjà vues, mal écrites et mal exploitées, construit à partir d’un whodunit (mais qu’y a-t-il dans cette satanée mallette ?) qui s’avèrera être le seul truc un tant soit peu farfelu du film.
Il faut aussi se pincer très fort pour arriver à croire que c’est un Coen qui a réalisé ça, tellement Drive-away dolls donne l’impression d’avoir été mis en scène avec les pieds ou, là encore, par un étudiant en cinéma expérimentant moult mouvements de caméra et autres figures de style sans la moindre cohérence. La question se pose désormais de savoir pourquoi les Coen ont décidé de faire chambre à part puisque, visiblement, ça ne leur réussit pas même si, avouons-le, ensemble ils n’ont rien réalisé de bon depuis l’immense A serious man (True grit est fade, Inside Llewyn Davis d’un ennui poli, Ave, César ! paresseux, Buster Scruggs anecdotique). Mais la vraie question, la primordiale, l’abyssale même, que soulève le film est la suivante : qui, en 2024, croit encore que des cadrages de travers, ça fait cool ?
Michaël Pigé
Personnellement, je trouve Inside Llewyn Davis magnifique, l’un de leurs meilleurs films – mais j’admets que je me passionne pour cette période historique de la musique -, et j’ai beaucoup, beaucoup aimé Buster Scruggs, donc, malgré la faiblesse des autres films que tu cites, je n’avais pas un sentiment de délabrement du cinéma des Coen Bros. Donc leur séparation, et les films désastreux qui s’ensuivent, me laissent encore plus interloqué que toi.
Mon propre vécu cinéphile avec le duo de cinéastes ne m’encourage pas à dire des choses définitives sur un supposé déclin des Coen. Toute la période post-The Big Lebowski avait oscillé pour moi entre le tiède et le détestable (Ladykillers pour le détestable;)). Et avec No Country for Old Men, adapté de Cormac McCarthy, j’avais eu la sensation de retrouver la verve d’un Blood Simple ainsi qu’une forme de renouveau : c’était une peu leur premier western, la première fois qu’ils filmaient les grands espaces. La suite avait pour moi globalement balancé entre le détestable (Burn after reading), le moyen et le sympathique. Ceci dit, j’ai zappé Ave César !, trop de sales échos. Mais il y a eu Inside Llewyn Davis que j’avais trouvé très bien, même si un sentiment de redite partielle de Barton Fink dans le monde du folk m’empêchait d’être totalement enthousiaste. Pour peu qu’ils se remettent ensemble et trouvent de nouveau un matériau littéraire intéréssant, je ne pense pas qu’il faille les enterrer.
Je suis surpris que votre journaliste soit surpris. Le seul film bon dans toute la carrière des Coen est « Arizona junior », et ce uniquement grâce à Nicolas Cage. « The Big lebowski » est proche du néant et seul le néant des spectateurs peut avoir laissé pensé que c’était un bon film. Quand à « Fargo », franchement c’était nihiliste et inepte. Donc rien à attendre d’eux, ni seul ni à deux…