Dans une Slovaquie gangrénée par la corruption et où la limite entre la loi et le crime s’est effacée, un flic brutal et obstiné entre en guerre contre la mafia. Le nouveau polar violent et nerveux d’un ancien journaliste.
En préambule à cette critique, il nous paraît nécessaire de saluer la qualité du travail proposé par Agullo, l’une de ces maisons d’éditions aventureuses et audacieuses qui, depuis quelques années déjà, proposent des polars venus d’un peu partout en Europe. Leur catalogue ne cesse de s’enrichir d’auteurs italiens, portugais, allemands ou slovaques, comme Arpád Soltész.
Colère est le troisième roman de Soltész publié par Agullo. Pour les lecteurs•ices qui seraient passé(e)s à côté des précédents (Il était une fois dans l’est et Le bal des porcs), précisons que Soltész a longtemps été l’un des journalistes les plus engagés de son pays, un journaliste dont les articles ont fréquemment dénoncé le crime organisé ou les corruptions du monde politique. Cette thématique (les collusions entre la mafia et le pouvoir) est au centre de Colère, nouveau roman traversé par une énergie et une rage que Soltész maîtrise très bien, sans pour autant chercher à la faire taire.
Le personnage central du livre, Miki, est un flic désabusé, revenu de tout et surtout parfaitement au fait des rouages d’une société rongée par la violence, la corruption et le crime. Mais lorsque Moly, son partenaire, un jeune policier idéaliste, est assassiné par des mafieux et que les autorités maquillent le meurtre en accident, Miki laisse éclater sa colère. Il décide de tout mettre en œuvre pour se venger. Bientôt épaulé par un autre flic surnommé le Barje et par Schlesinger, un journaliste incorruptible, Miki déboule comme un chien dans un jeu de quilles. Et le chien est particulièrement féroce…
Si le point de départ de Colère est assez classique, le début du roman d’Arpád Soltész se démarque nettement du tout-venant par son énergie, sa rage et sa « puissance d’arrêt ». Cette expression, que nous empruntons à Manchette et que lui-même empruntait au lexique de la balistique, nous semble parfaitement convenir pour définir l’écriture de Soltész : une prose brutale, sans concession, et qui décrit la réalité sans détour. Soltész raconte le mal qui gangrène la société slovaque des années 90 : le communisme s’est effondré, les oligarques se sont partagés le pouvoir et les usines, et désormais la corruption règne à tous les étages. Dans Colère, les mafieux sont des ordures, et les politiques et les hommes d‘affaires ne valent pas mieux.
On l’aura compris, Arpád Soltész ne fait pas vraiment dans la dentelle, il n’épargne rien ni personne, pas même le lecteur qui finit un peu par se perdre au milieu d’une narration touffue, peuplée de personnages souvent pittoresques. En presque 500 pages, on voit ainsi défiler de nombreuses figures du crime, les noms se multiplient, les surnoms se mélangent aux noms, et le risque d’en confondre certains n’est jamais très loin. Mais l’énergie est telle que l’on se laisse emporter par le flot d’une intrigue qui ne faiblit jamais et qui emporte tout sur son passage.
Colère est donc un polar particulièrement réjouissant : peu aimable, par endroits fâché avec le bon goût, le roman d’Arpád Soltész est un vrai plaisir de lecture.
Grégory Seyer