Après le très beau Passager du Polarlys, Dargaud nous propose une seconde adaptation d’un roman noir de Simenon, probablement son meilleur.
Frank, 17 ans, est le fils trop gâté de Lotte, la tenancière d’une maison close fréquentée par l’occupant. Franck s’ennuie. Un soir, sans raison définie, il tue un officier ennemi. Plus tard, il dépouille, puis assassine une vieillarde. Pis encore, il trahit et maltraite Mary, la fille du voisin, pourtant follement amoureuse de lui. Que cherche Franck ? Il jouera avec le feu, sera arrêté et, torturé, avouera. Il mourra pardonné par Mary et, semble-t-il, heureux.
Georges Simenon n’a pas écrit que des romans policiers. Ne lui doit-on pas 112 romans qu’il qualifiait de « durs » ? Comprenez : de durs à écrire. Ainsi, alors qu’il consacre rarement plus de dix jours à un Maigret, il peinera trois semaines sur La neige était sale.
Nous sommes en 1948. Simenon vient d’apprendre la mort, en Indochine et dans les rangs de la Légion étrangère, de son jeune frère Christian. Militant rexiste, de dernier a non seulement collaboré avec les nazis, mais a du sang sur les mains. Georges veut voir dans sa fin une tardive rédemption.
Afin de lui confier un caractère universel, et peut-être pour éviter tout rapprochement avec son frère, il situe son histoire dans un pays indéterminé d’Europe de l’Est. Le roman ne présente que le point de vue de Franck, mais, à l’image de Meursault, le fameux héros de l’Étranger d’Albert Camus, cet homme demeurera un mystère.
Le dessin de Bernard Yslaire associe des décors réalistes et fins à des visages légèrement caricaturés. Les cadrages et les éclairages jouent avec les codes du meilleur cinéma noir des années quarante. Le résultat peut surprendre. Yslaire réduit sa palette au gris et le noir, qu’il relève de rares touches de rose. Tels les amis de Franck, tous corrompus et lâches, bien qu’enneigée, sa ville est sale.
Les ambitions littéraires de Simenon étaient assumées. Il estimait avoir écrit son meilleur roman. Si, le succès fut au rendez-vous, il sera fugace et, bientôt, Maigret enverra le beau Franck aux oubliettes. En lui donnant une seconde chance, Fromental et Yslaire font œuvre pie, car le père de Maigret demeure l’un des grands écrivains du siècle passé. Relisez Simenon !
Stéphane de Boysson