Avec un nouvel album annonçant une volonté de renouvellement musical, The Jesus and Mary Chain nous ont offert samedi soir un concert impeccable, avec un son certes beaucoup moins « noise », mais une pléthore de chansons idéales.
Et voilà ce qui est arrivé : Glasgow Eyes, le dernier album de The Jesus and Mary Chain, a changé la donne. Sept ans après un Damage and Joy décevant parce qu’il recopiait une fois de plus les recettes forcément affadies que Jim et William Reid avaient inventées en 1985, Glasgow Eyes abandonnait largement le « noise », se faisait franchement « pop », et osait même çà et là les synthés. De quoi nous redonner envie de voir sur scène, encore une fois, les affreux – et chéris, admettons-le – frères Reid, avec l’espoir inavouable d’être reconquis par ce groupe qui, quarante ans plus tôt, était, avec leurs collègues et opposés The Smiths, ce qui se faisait de mieux sur la planète rock’n’roll.
19h30 : Le concert est complet, mais le public, largement… « âgé », arrivera tard, profitant sans doute des températures estivales en prolongeant un après-midi barbecue dans le pavillon de banlieue, ou en profitant d’un début de soirée apéro à la terrasse d’un bar. Les Londoniens de deathcrash joueront donc devant un auditoire encore modeste. Le set démarre sur une chanson lente, c’est inhabituel. La voix de Tiernan Banks est délicate, mais rappelle pas mal de chanteurs anglais délicats eux aussi, dans un registre indie rock un peu bucolique, assez morne, et aussi pas mal coincé. Bon. Le second titre a exactement le même tempo, avec des vocaux, euh… délicats. Pendant vingt-deux secondes, ça s’énerve un peu, avant de revenir à de la… délicatesse. Le troisième titre est une chanson… calme, chantée avec une indéniable… délicatesse… qui s’excite pendant vingt-quatre secondes avant la fin. Au bout d’un moment, il y a enfin un morceau (American Metal, croit-on) qui commence… calmement et délicatement… avant un long et bruitiste crescendo fort plaisant, qui réveille les nombreux spectateurs assoupis dans la salle : on comprend pendant quelques instants les comparaisons avec Mogwai, tout en se disant qu’il ne faut rien exagérer. Dans la chanson suivante (Wrestle with Jimmy), le bassiste récite le texte, ce qui nous change agréablement de la voix… délicate de Tiernan, et puis le batteur se met à hurler comme s’il jouait du death metal, à moins qu’il ne se soit fait mal, le pauvre. Bon, on rigole, mais c’est la meilleure chanson du set de 35 minutes. Tout retourne ensuite à la normale avec une dernière chanson, calme et délicate. Ce n’est pas pour enfoncer le clou dans un cercueil déjà bien fermé, mais « deathcrash » nous semble un nom peu approprié pour un groupe qu’on aurait plutôt baptisé « Calm and Delicate (and Boring) ». On dit ça, on ne dit rien.
20h40 : On ronge son frein en face des deux beaux amplis Orange de William, marqués – comme les autres – d’un sympathique « JESUS » : un bon moyen de ne pas se faire piquer son matos, ou alors peut-être aux USA par des fondamentalistes chrétiens ? Et puis ils sont là, les anciens frères Pétard, et bon dieu, qu’est-ce qu’on les aime finalement, ces deux têtes à claques ! En fait, la soixantaine passée, Jim et William semblent être devenus des êtres humains parfaitement fréquentables (des English gentlemen ?) : Jim est terriblement bien conservé physiquement, très élégant, et il parle régulièrement pour dire des choses aimables, comme pour s’excuser d’avoir la crève et donc la voix un peu éteinte : malgré le rude accent écossais, on dirait même qu’il fait des efforts pour être compris ! William a repris du poids, sa touffe de cheveux a totalement blanchi, mais il y a même un peu de lumière sur lui cette fois. Et à la fin, il viendra remettre l’un de ses médiators en main propre à un pote du premier rang, tout sympa et (presque) souriant ! Bref, le comportement puant n’est plus à l’ordre du jour, Jim ne tourne plus le dos au public (il se met juste de profil, dans le noir…), les lumières sont parcimonieuses mais belles, la fumée ne s’invite que peu, et le son est magnifique, clair et fort (au moins au premier rang, derrière, dans la fosse, il y a eu quelques plaintes). Bref, The Jesus and Mary Chain sont maintenant des gens qui nous veulent du bien.
La preuve : une setlist en forme de « best of », avec des titres, pour la plupart très connus, tirés de tous leurs albums, en plus des cinq chansons extraites de Glasgow Eyes. Au grand dam de certains – nostalgiques – le « noise » est clairement en retrait désormais, le son est plus clair, plus agressif aussi, mettant en valeur les très belles mélodies de la plupart des chansons, tout en accentuant le côté « rock’n’roll » éternel du groupe. A signaler que les synthés ne sont pas présents sur scène, seulement pré-enregistrés et lancés par le batteur -, et qu’il n’y aura aucun révisionnisme musical, puisque les classiques sont joués de manière fidèle, juste avec moins de fuzz et de saturation.
Après, on imagine bien que chacun dans la salle aura réagi plus ou moins à ses propres morceaux favoris (et il y en a quand même un sacré paquet !). Pour nous, on a adoré le démarrage sur un jamcod accrocheur et rampant, même sans bidouilles électroniques, rappelant que le désespoir reste le grand sujet de ces sexagénaires ! « Tears are what you want / Tears are what you’ve got ». Et puis enchaîner cette mise au point (« overdose de JAMC ») par un sublime et parfait Happy When It Rains, c’est quand même d’une classe folle, non ?
The Eagles and the Beatles, plus loin, a confirmé son charme de chanson pop classique habillée en hommage aux divinités tutélaires du Rock (les Beach Boys et les Stones, surtout, en fait…). Le trio Some Candy Talking, In a Hole (toujours une tuerie, même sans le déluge noisy…) et Sidewalking (l’un de nos titres préférés de toute leur discographie) a construit un sommet vertigineux au milieu du set. Mais un Venal Joy ultra-excitant a aussi été l’un des gros plaisirs de la soirée, une provocation qui plus est facile à chanter : « Now I’m addicted to love / So we can fuck on the table / I’m on fire / Piss on fire » (Maintenant je suis accro à l’amour / Alors on peut baiser sur la table / Je suis en feu / Pisse sur le feu).
Pour les deux titres finaux du set, Sometimes Always et le tube Just Like Honey, Jim invite Faith Vern (du groupe PINS) à le rejoindre pour chanter avec lui : sympathique et inattendu, mais pas particulièrement convaincant, en fait ! Heureusement les quatre titres du rappel sont du pain bénit pour inscrire cette soirée roborative au sommet des concerts de cette année : Darklands, Never Understand, I Hate Rock’n’Roll (niveau d’enthousiasme élevé dans la salle !), et pour finir l’inévitable Reverence (« I wanna die like JFK, I wanna die on a sunny day » – Je veux mourir comme Kennedy, je veux mourir par une journée ensoleillée) qui leur permet, ah ah, de tirer la leur. Enfin, temporairement !
Bref, que du bonheur, avec ce concert qui a relevé le pari de nous abreuver de nos titres favoris tout en marquant un certain renouvellement sonore chez ce groupe… séminal. Bien entendu, on aura toujours quelques regrets : s’ils avaient joué l’ultra pop Silver Strings ou encore leur superbe hommage au Velvet, Hey Lou Reid, et s’ils avaient introduit physiquement des synthés sur scène, la volonté de changement aurait été plus marquée. La prochaine fois peut-être ?
Texte et photos : Eric Debarnot
Faith Vern sans s à la fin.
Bien à vous.
Merci !