Signé de Pierre Andrieu, Jean-Louis Murat – Les Jours du Jaguar vaut autant comme recueil de témoignages sur Jean-Louis Murat que comme relecture du « virage électrique » de ce dernier.
Lors des dernières Victoires de la Musique, l’hommage à Jean-Louis Murat fut un moment aussi plein de bonne volonté que raté. Il y eut d’abord Léa Salamé déclarant que tout le monde avait été touché par son décès. Elle évoquait bien sûr le public mais les mots paraissaient décalés au vu du parterre présent. Un parterre représentant un show business hexagonal auquel Murat avait un rapport pour le moins compliqué. Quant à Raphaël, d’ordinaire honorable dans l’exercice de la reprise, il foira Si je devais manquer de toi en voulant absolument se caler sur le murmuré de Murat. Heureusement, la sortie du (beau) livre de Pierre Andrieu, rédacteur sur le site concertandco, est là pour offrir un hommage plus digne à un grand de la chanson française contemporaine.
Préfacé par Jennifer Charles d’Elysian Fields, Jean-Louis Murat – Les Jours du Jaguar est d’abord constitué d’interviews de divers collaborateurs/collaboratrices racontant leur Murat : les musiciens de studio, le directeur de communication de la Coopérative de Mai, la cinéaste qui l’a filmé au travail (Laetitia Masson), les femmes partenaires dans l’intimité qui furent tout autant ses conseillères artistiques… Et les admirateurs tels que Bernard Lenoir ou l’écrivain Eric Reinhardt. Et enfin des interviews de Murat données à l’auteur. Le tout illustré d’une mine d’or de photos remontant jusqu’à l’avant-notoriété. Si les premières interviews peuvent être touchantes ou intéressantes, celles de Murat rappellent que le Murat distributeur de phrases à l’emporte pièce était nettement plus plaisant à l’oral, au milieu d’un talk show trash, qu’à l’écrit.
A côté de cela, Andrieu passe en revue la biographie d’un artiste qui, tel Bashung, a décollé sur le tard. Il évoque l’engagement humanitaire discret, les concerts, la place du sexe et de la mort dans les textes de Murat. Et offre la partie la plus débattable et la plus intéréssante du livre : une vision de la discographie pas forcément partagée par tous les fans de l’Auvergnat. Les synthétiseurs, éléments datés de Cheyenne Autumn ? Il sont pourtant moins pénibles à mon oreille que ceux de I’m your man de Leonard Cohen. Et dans les deux cas le plus important tient toujours debout : les (grandes) chansons.
Au nom de ce parti pris, l’âge d’or discographique de Murat se situerait selon Andrieu entre Mustango et Taormina. Je tiens personnellement Mustango pour son chef d’œuvre. Un alliage du Blues/Rock et de la chanson française que Bashung avait effleuré sur certains morceaux d’Osez Joséphine. Et une rencontre entre deux Far West : celui personnel de Murat (l’Auvergne) et l’ombre du vrai. Résumée par ce Jim murmurant à cheval. A ma gauche la littérature de l’Amérique profonde (l’écrivain Jim Harrison). A ma droite l’ombre du western (à cheval). Et au milieu ce murmuré dont Murat disait qu’il se mariait mieux à la langue française que certaines voix gueulardes. Mais surtout un album contenant relativement peu de morceaux confondant le spontané et le bâclé.
Ensuite, Murat s’est souvent réclamé comme le rappelle le livre du caractère prolifique d’un Dylan ou d’un Neil Young. Je vois plutôt dans beaucoup de ses albums post-Mustango une incapacité à faire le tri. Mais l’intérêt d’Andrieu est de faire de Mustango un point de rupture, un moment où Murat passe à la guitare. On peut débattre de cette césure en évoquant les moments pop ligne claire à guitare de Vénus. Ou ne pas réduire le Murat post-Mustango à cela. Mais cela fait sens quand on pense à ce que le morceau Nu dans la crevasse représentait : la première fois que Murat ouvrait la porte à une longue cavalcade électrique avec Neil Young et son Crazy Horse en ligne de mire. Une approche « canadienne » qu’il appliquera sur scène à une partie de son répertoire. Le livre s’achève sur une playlist imaginaire basée entre autres sur les goûts de Murat et les morceaux qu’il a repris. Peut-être pas la meilleure manière d’achever un livre réussi.
Dans un numéro de Reporters où l’on entendait des maquettes de son alors pas encore sorti The Future, Leonard Cohen déclarait construire ses chansons comme des Mercedes, pour qu’elles durent. Là où son fan Murat souhaitait que ses chansons « soient comme des meubles anciens : solides, fiables, familières. Qu’elles résistent à l’érosion. ». Une résistance au moins avérée s’agissant de titres comme Fort Alamo. En attendant, le livre est un bel objet et une bonne manière de se souvenir de l’auteur de ces chansons solides, fiables et familières.
Ordell Robbie
Tout à fait d’accord avec vous sur la « grande période » de Murat.
Au grand dam de l’intéressé peut-être, mais à part quelques petites pépites ça et là (Se mettre aux anges, Taïga, Zibeline Tang), le monument murassien trouve sa dernière pierre dans Mustango… après, ça devient brouillon…
Par contre, tout ce qui précède me suivra jusqu’à ma mort.,, Merci Jean-Louis !