Stéphane Demoustier signe avec Borgo sa plus belle réalisation à ce jour. Un film inspiré de faits réels, haletant et envoutant, porté par l’impeccable Hafsia Herzi qui incarne une femme mystérieuse et insaisissable.
Bienvenue en Corse ! Ses plages, ses montagnes… et ses prisons, dont le fonctionnement diffère quelque peu de celle du continent, comme va s’en rendre compte Mélissa (Hafsia Herzi), au moment où elle arrive pour prendre ses fonctions comme surveillante à la prison de Borgo. Un centre pénitencier dont une partie, composée essentiellement de détenus corses, fonctionne en régime ouvert. A savoir que les détenus peuvent naviguer comme bon leur semble durant toute la journée, jouant au foot, aux cartes ou faisant de la musculation. Du jamais vu pour Mélissa, qui va devoir affronter le regard et les remarques de ces mâles dominants dans un milieu dont on dit, d’après la directrice de la prison (Florence Loiret-Caille) « que ce ne sont pas les surveillants qui gardent les détenus, mais l’inverse ».
Malgré la pression, Mélissa défend son autorité tout en montrant une certaine bienveillance envers les détenus. Petit à petit, le respect et la confiance s’installe, mais les choses vont quelque peu se complexifier quand Mélissa se voit contrainte d’accepter l’aide d’un jeune détenu un peu trop amical et familier (Louis Memmi), qu’elle avait croisé lorsqu’elle travaillait à Fleury-Mérogis. Ce dernier ayant envoyé quelques amis à lui pour mettre un coup de pression sur les voisins racistes et agressifs de Melissa et sa famille, la voilà redevable, car comme dit le dicton : « en Corse, on n’oublie personne et personne ne nous oublie ». On sent alors qu’un glissement va s’opérer progressivement dans l’attitude de Mélissa, malgré ses principes, elle ne peut que se résoudre à l’évidence : elle va devoir elle aussi rendre des services…
En parallèle, on suit l’enquête de deux policiers (Michel Fau et Pablo Pauly) tentant de trouver des indices en décortiquant des images de vidéosurveillance, suite à un règlement de comptes qui a fait deux morts sur le parvis de l’aéroport de Bastia.
Se met en place un thriller particulièrement habile, un film noir, jamais clinquant, sans effet de mise en scène, dans lequel la tension va monter crescendo et de manière très subtile. Apparaissent alors clairement les jeux d’influences, de manipulation et de pouvoir qui se jouent en prison et sur cette île de beauté où tout le monde se connaît, car « la Corse c’est petit », comme le répètent plusieurs fois dans le film certains personnages.
Et voilà donc notre matonne, comme l’appelle les détenus, embarquée dans un jeu très dangereux auquel elle va se prêter jamais montrer de faiblesse, malgré les risques qu’elle prend. Petit à petit, une forme de paranoïa s’installe dans le film. et on a peur pour Melissa et sa famille. Les Corses ne menacent pas ouvertement, parlent toujours calmement, avec beaucoup de sous-entendus, mais obtiennent toujours ce qu’ils veulent.
Saluons la qualité du scénario et des dialogues, particulièrement bien écrits, avec un récit qui sait ménager son suspense, tout en distillant en permanent une tension très palpable, grâce aussi à un montage habile, déployant une intrigue sur deux niveaux de temporalité qui vont finir par se rejoindre. Un film palpitant, porté par le jeu tout en retenue et en simplicité de l’actrice Hafsia Herzi, incarnant magnifiquement cette matonne sûre d’elle, à la fois mystérieuse, insaisissable et envoûtante, parvenant toujours à faire front face au danger.
Après Terre battue et surtout La fille au bracelet, Stéphane Demoustier confirme qu’il faudra compter plus que jamais sur lui dans les années à venir. En tout cas, il signe avec ce film tendu et captivant, dans une atmosphère très réaliste qui tiendra en haleine jusqu’au bout, sa plus belle réalisation à ce jour.
Benoit RICHARD