Nouvelle tentative de Netflix pour produire un micro-blockbuster, ce Damsel est un film toujours prévisible, parfois désuet, mais émaillé de quelques jolies séquences de fantasy à l’ancienne. Pas le pire choix pour la prochaine soirée crêpes en famille. Ou un barbecue, si vous tenez à la métaphore.
Sur le papier, on voulait bien faire preuve d’un peu de bonne volonté. On aime la fantasy, on a rien contre Millie Bobby Brown et on accepte parfois de se laisser positivement surprendre par Netflix, même si ce cas de figure s’est drastiquement raréfié ces dernières années. Toutefois, la perspective de la jeune star de Stranger Things dans un rôle de princesse guerrière pouvait laisser espérer un peu de fun. Brown, on le sait, a pris l’habitude de coproduire ses projets Netflix (Enola Holmes, en particulier, est une franchise qu’elle supervise de près), et l’implication de comédiens dans la partie business de leurs films est parfois gage d’une attention portée à leur mise en forme. Or, en l’occurrence, c’est un peu là que les complications commencent. Les affiches et la promo ont pris le soin de nous l’annoncer. « Ceci n’est pas un conte de fée ». D’accord. Pourquoi pas. Or, une fois devant nos spaghetti post-visionnage, on se dit que :
A/ Cette phrase d’accroche est partiellement mensongère. Quelle surprise… (non)
B/ Que c’est justement quand le film lui donne raison qu’il nous convainc le moins.
C/ Qu’il est dommage que Damsel ait autant retenu ses coups.
Dommage, c’est bien le mot, car les codes du conte et du merveilleux sont toujours ludiques pour peu qu’on se donne la peine de les renverser, les inverser et les mettre sans-dessus dessous. Force est de constater, malheureusement, que Damsel ne renverse pas grand-chose. Le pitch est simple, ce qui n’est pas un crime en soi, rappelons-le. Elodie est la fille du seigneur d’un fief à taille humaine, où les nobles mettent souvent la main à la pâte pour aider leurs paysans en galère. Soucieux d’améliorer l’avenir de ses gens, le paternel accepte une union avec l’héritier d’un gros royaume voisin. D’abord contrariée, Elodie se laisse convaincre de rencontrer son prétendant, lequel se révèle plutôt mignon et presque sympathique. Bonne surprise ? Pas vraiment, puisque la belle famille semble cacher quelque chose. Quelque chose de grand, agressif et pyromane, qui crèche dans les entrailles d’une montagne du coin. Je pourrais vous en révéler bien davantage, mais je laisserais ce soin à la bande-annonce calamiteuse du projet. Urgf.
Il y a des intentions très compréhensibles, voire intéressantes, dans ce scénario cousu de fil blanc. Prenons par exemple ce personnage de prince délibérément palot, pion d’une mécanique manœuvrée par sa mère, incarnée par la toujours magnétique Robin Wright. L’un des points forts du film est d’ailleurs le casting solide de ses seconds rôles. L’ancienne Princess Bride, littéralement devenue reine marieuse, mais aussi Ray Winstone, dont la silhouette de malfrat british avait jadis porté l’épée pour Antoine Fuqua et Robert Zemeckis. Mentionnons également l’indéboulonnable Angela Bassett, toujours crédible pour jouer les figures maternelles préoccupées, même quand son rôle est cantonné à sa dimension la plus accessoire. Les soucis du film, néanmoins, sont aussi prévisibles que son écriture. La lumière des scènes en extérieur est très plate, renforçant la prégnance d’une patte Netflix qu’on aura le droit de trouver frustrante. Les costumes et les décors sont élégants sans pour autant être imaginatifs. La réalisation très convenue des premières séquences du film contraste étrangement avec d’autres scènes où l’atmosphère prend subitement quelques teintes oniriques.
C’est finalement dans ses séquences les plus délibérément visuelles, voire poseuses, que le film touche à quelque chose d’intéressant, avec une coquetterie assumée où les symboles (la couronne, l’épée, la caverne) peuvent compter sur leur portée universelle. Le film s’avère plus enthousiasmant quand il fait quelques pas (pas forcément conscients) vers le Legend de Ridley Scott que lorsqu’il s’applique à faire du Game of Thrones PG-13. L’exploration des galeries souterraines à la torche est notamment très réussie, jouant la carte du labyrinthe fantastique avec une certaine efficacité. Un plafond de glace se met à fondre lentement à l’approche du dragon, dont le feu s’avère d’ailleurs… liquide. Dans les profondeurs d’une grotte, Elodie récolte des gloumoutes fluorescents tout droit sortis d’un clip de Björk ou d’un court de Bertrand Mandico. Ajoutez à cela une ou deux idées de filmage décentes, et vous obtenez des séquences aussi fonctionnelles que dans le tout-venant des blockbusters US (ce qui n’est pas forcément un compliment, il est vrai). Des images un peu fastoches, mais qui fonctionnent facilement dans le registre du conte, où tout élément symbolique est naturellement sur-signifiant. Il est donc plus aisé de pardonner des dialogues Stabilotés ( » I’m done doing what I’m told « , no shit?) quand le film mélange ces lieux communs pour apporter du sens à son histoire. La princesse se coupe les cheveux à la dague façon Mulan ? Elle grimpe hors d’un puits comme Batman chez Nolan ? Pourquoi pas, après tout. Le conte est par nature un genre moraliste, et ces concepts sont peu originaux, mais ont le mérite de produire des images à la signification immédiate. Il y avait matière à en tirer un vrai survival féminin, que le kitsch d’une fantasy à l’ancienne aurait intelligemment servi.
Or, c’est quand on prend conscience de ce potentiel qu’on distingue véritablement les limites de Damsel, qui sont assurément listées noir sur blanc quelque part dans un cahier des charges. Le mode d’emploi est celui d’une production Netflix sur des rails de divertissement familial. Un projet propret, notamment dans ses effets spéciaux, mieux finis que la plupart de ce que Disney/Marvel ose balancer dans les salles obscures, mais dont l’écriture reste très superficielle. On aurait aimé que le film aille au bout de son retournement de valeurs, afin de donner de la substance à ce que les mauvaises langues taxeront de féminisme opportuniste. La trajectoire du personnage d’Elodie offrait la possibilité d’en faire une figure subversive motivée par la duplicité de ses opposants, un mode d’action élevé au rang de tradition familiale. De là à voir revenir la Demoiselle sous les traits d’une méchante vengeresse de conte gothique, il n’y avait qu’un pas, que Damsel se refuse trop catégoriquement à franchir. L’histoire prend la peine d’offrir aux jeunes spectatrices une héroïne digne de les inspirer, mais ce personnage aurait mérité d’évoluer dans un film plus en phase avec sa nature. Certes, Elodie prend son destin en main, mais son héroïsme est finalement la projection d’une valeur telle que le monde auquel elle s’oppose la conçoit. Damsel aurait gagné à être un film plus important, plus exigeant avec son discours et ses ambitions. Malgré ce constat un peu amer, de moins en moins inattendu chez les productions Netflix, ce serait mentir que de prétendre que l’on ne passe pas un sympathique moment… mais c’est un peu le problème. En étant convenablement divertis, on ne s’est pas rendus compte qu’on aurait préféré être emportés.
Mattias Frances