Un peu moins d’un an après leur opus consacré à DOA, les éditions Playlist Society nous offrent un nouveau livre d’entretien. Yvan Robin interroge Hervé Le Corre, l’un des auteurs majeurs du polar français, sur ses engagements, ses inspirations, ses méthodes. Passionnant !
Le précédent était rouge, celui-ci est bleu, mais le principe est le même : après une introduction brève et efficace, et avant l’indispensable bibliographie, un entretien d’une centaine de pages avec un romancier qui revient sur les grandes étapes de sa vie d’écrivain. Après DOA, c’est donc Hervé Le Corre qui a accepté le concept proposé par les éditions Playlist Society, et c’est Yvan Robin qui succède à Élise Lépine dans le rôle de l’intervieweur. DOA, rétablir le chaos (2023) était passionnant ; Hervé Le Corre, Mélancolie révolutionnaire l’est tout autant.
En commençant l’ouvrage, on s’aperçoit que l’on connaît finalement très peu ce romancier discret que l’on a pourtant beaucoup lu. Depuis L’Homme aux lèvres de saphir, génial polar historique paru en 2004 aux éditions Rivages, on a (presque) lu tout ce qu’a écrit Hervé Le Corre : ses romans (très noirs), Les Cœurs déchiquetés (2009) et Traverser la nuit (2021) ; Dans l’ombre du brasier (2019), son roman sur la Commune de 1871 ; ou encore Après la guerre (2014), terrifiant tableau de la France de 1950. Et, bien entendu, on s’est précipité en janvier dernier sur Qui après nous vivrez, roman postapocalyptique qui voit Le Corre s’éloigner du polar mais pas de ses principales préoccupations, notamment les violences faites aux femmes. Tous ces romans sont évidemment largement évoqués ici par Hervé le Corre.
Mais tout n’a pas commencé en 2004. L’entretien mené par Yvan Robin débute donc par la section « Avant l’écriture » qui permet à Hervé Le Corre de revenir sur son enfance à Bordeaux, sa famille, son métier d’enseignant et, bien évidemment, sa découverte du roman noir, vécue comme l’élément déclencheur de sa vocation d’écrivain. Ensuite, Le Corre parle de ses premiers romans, rappelle plusieurs fois qu’il n’a jamais cessé d’enseigner, même quand il rencontre le succès avec L’Homme aux lèvres de saphir.
Pudique, Hervé Le Corre se livre assez peu sur lui-même, ce n’est de toute façon pas l’objet de cet entretien. En revanche, il parle beaucoup de ses colères, de ses engagements et de sa méthode d’écriture. Pour tout amateur de polars, c’est évidemment passionnant. Comme dans le livre consacré à DOA, c’est en effet une véritable poétique du genre qu’Yvan Robin met à jour ici, une certaine conception de la littérature en général et du polar en particulier (bien différente d’ailleurs de celle de DOA). Les questions d’Yvan Robin, d’une grande pertinence, permettent à Le Corre d’évoquer son rapport à la violence, à l’histoire, à l’engagement. Le romancier est très disert sur son parcours : il revient sur ses relations avec les éditeurs, semble s’agacer parfois de certaines questions (comme lorsque Robin l’interroge sur la place du sexe dans ses romans), mais il ne refuse jamais d’y répondre. Au contraire, Le Corre défend ses choix, les justifie et témoigne ainsi de la sincérité des idées qui soutiennent son œuvre.
Hervé Le Corre, Mélancolie révolutionnaire peut facilement se lire d’une traite. Mais sans doute est-il préférable de prendre son temps, de le découvrir un crayon à la main afin d’annoter tel ou tel passage, pour y mieux y revenir plus tard.
Ce qui est certain, c’est que l’on achève cette lecture avec deux envies : celle de dénicher les premiers romans d’Hervé Le Corre que l’on n’a pas encore lus ; et celle de savoir qui sera le prochain romancier choisi par Playlist Society. On attend déjà impatiemment la suite de ce projet qui, on n’en doute pas, fera date.
Grégory Seyer