Après une paire d’albums enragés, Kid Kapichi publie un There Goes The Neighbourhood aux influences plutôt bien digérées. Mais l’album se montre trop inégal et dispersé pour convaincre totalement.
L’écoute de la discographie de Kid Kapichi donne envie de prendre pour argent comptant le live report élogieux écrit par ici. Originaire de Hastings (Sussex, 85 bornes au Sud-Est de Londres, moins de 100 000 habitants), le groupe a fait la première partie de Liam Gallagher au Royal Albert Hall, à l’invitation de la grande gueule mancunienne. En 2021, leur premier album This Time Next Year arpentait un territoire familier du rock anglais : l’ennui des petites villes de province, la difficulté à joindre les deux bouts en fin de mois, l’envie d’envoyer bouler son époque… tout en rêvant un peu d’être du côté de ceux et celles qui tirent leur épingle du jeu. Le tout déclamé avec la rage souvent présente sur un premier album.
Hélas, l’album ratait la grandeur pour cause de trop de chansons ressemblant à des chutes de studio des deux premiers albums des Arctic Monkeys. Un an après, Here’s What You Could Have Won, inspiré d’une phrase de jeu télévisé rappelant aux perdants de ce dernier ce qu’ils ont manqué, labourait les mêmes terres côté textes. Une influence Specials bien digérée apparaissait même si l’ombre du groupe de Sheffield demeurait sur quelques morceaux.
Sorti cette année, There Goes The Neighbourhood représente une nouvelle tentative inaboutie. Artillery reprend les choses là où le deuxième album les avait laissées, avec un peu de rock lourd Queens of the stone age côté guitares. Let’s Get To Work rappelle quant à lui musicalement les Viagra Boys. Evoquant un peu les Beastie Boys, Tamagotchi est intéressant dans son texte ajoutant à la rage la peur du cap des 30 ans. L’album reviendra sur ce terrain nostalgique sur la fin : quand bien même le morceau aurait pu figurer sur n’importe quel album de Doherty avec ou sans les Libertines, l’hommage de la balade Jimi à Jimi Riddle, musicien soutien actif des talents de la scène de Hastings, est touchant.
Sympathique pastiche punk côté musique, Can EU Hear Me? rappelle lui que le genre de la chanson-éditorial politique est hautement casse-gueule. Ici le groupe fait mine de découvrir que les politiciens peuvent tromper leurs électeurs (sur le Brexit, bien sûr). Sur le même créneau, Zombie Nation, duo avec la grand Suggs de Madness, fonctionne nettement mieux : à une musique évoquant Madness et les Specials se marie un portrait de l’Angleterre actuelle passée au filtre Shaun of the dead. Le reste ? Deux sympathiques morceaux à la Idles (Get Down, 999). Subaru évoque (hélas) en partie Offspring côté mélodie. Et Oliver Twist a quelque chose d’un Arctic Monkeys du pauvre dans l’écriture. Portrait d’une fille pas facile à vivre, Angeline est un peu mieux, ressemblant un peu à l’époque où Blur était encore Britpop.
Ce n’est donc toujours pas l’album du décollage pour le groupe. Mais la clémence sera de mise en considérant que la mythe du troisième album comme supposé tournant pour un groupe de rock anglais a la même valeur que le fameux Club des 27. Un truc semblant vrai dans la pratique (coucou London Calling, The Queen is dead, OK Computer…). Mais pas pour autant une règle absolue. La monumental crash artistique d’Oasis à ce stade n’a pas empêché la groupe d’être toujours vu comme un trésor national à la maison. Et Humbug fut moins un chef d’œuvre qu’une première tentative de réinvention des Arctic Monkeys sous l’impulsion de Josh Homme. Tentative qui trouva son plein aboutissement avec AM. Kid Kapichi aura donc droit à une seconde chance.
Ordell Robbie
Kid Kapichi – There Goes The Neighbourhood
Label : Spinefarm Records
Date de parution : 15 mars 2024