Justice – Hyperdrama : La Renaissance

On les imaginait en mal d’inspiration, à se contenter d’être là où il étaient attendus et servir inlassablement la même recette. C’était mal connaître la capacité à rebondir de Justice. Preuve avec Hyperdrama, album le plus réjouissant des deux producteurs électro depuis l’inégalable tout premier.

justice-wikimedia
Simon Fernandez / Wikimedia Commons

Duo, électro, français, adepte de la French Touch. Avec Busy P en manager et un succès mondial. Depuis une quinzaine d’années désormais, Justice traîne une analogie aussi évidente que troublante avec leurs aînés Daft Punk. Au point de suivre la même trajectoire d’aération discographique: sur cette échelle du temps : la paire n’aura sorti, en comptant celui-ci, que quatre albums studios. Soit le même nombre que les deux robots casqués, en autant d’années.

Justice - HyperdramaIl a fallu en effet huit ans à Gaspard Augé et Xavier de Rosnay pour donner une suite à Woman, disque qui avait peut-être marqué gentiment les limites de leur musique, devenue plus proche des spots pubs lisses que de la déflagration électro-punk du mythique Cross.

Un « break » salutaire, sans doute nécessaire, alors pour refaire le plein d’énergie et d’idées se dit-on. Jusqu’à l’arrivée début d’année de ce fameux come-back avec un premier titre, One Night/All Night, en compagnie de Kevin Parker/Tame Impala. Sur le papier, on tient un événement. Mais sur le papier seulement.

A l’écoute, on retrouve Justice là où on les avait laissés, dans une version gendre idéal d’eux-mêmes, sympathique mais sans véritable saveur. Bis repetita avec le deuxième extrait, Generator, sorte de Genesis édulcorée, tiédasse. On n’est pas loin de crier à l’imposture de l’IA tant ça sonne stéréotypé.

Ce qui ressemblait à une crainte devient dès lors de plus en plus une évidence : les mecs sont rincés. On redoute l’écoute, on redoute de voir des héros devenir sous nos yeux des ringards dépassés.

Sauf que non. Tels des phénix (autre groupe de l’hexagone au succès international, tiens), les deux comparses renaissent de leurs cendres de manière magistrale.

Ce n’est pas dans les singles que leur salut passe – l’exercice est du fan-service pur jus, pas besoin de revenir dessus – mais dans la construction de l’album, titre par titre, où l’on retrouve l’essence même de leur son. Un opéra électronique, où l’on passe par plusieurs phases, par plusieurs genres et thématiques. Du cosmico-disco un peu dark Afterimage au plus house aérien Dear Alan (hommage à l’ami Braxe) en passant par le sensuel mais inquiétant Explorer, toutes les émotions sont passées au scanner derrière le mot d’ordre : se trémousser de manière cool.

C’est lorsqu’il s’écarte le plus de la structure « rotation radio » que le duo retrouve la pleine possession de ses moyens et une efficacité plus entendue depuis un petit moment. Et le plaisir de l’écoute s’intensifie au fil de l’enchaînement des morceaux, signe fort qu’il ne s’agit pas là d’une compilation de hits mais bien d’un album pensé en tant que tel. Un morceau comme Incognito, lui aussi lancé un peu avant la sortie, trouve un relief ici qu’il n’avait pas encore en simple éclaireur. Tout finit par s’imbriquer et se compléter de manière naturelle, compos plus complexes avec celles plus « faciles » (Mannequin Love). La vitesse de croisière est atteinte, et même les deux dernières tracks emmenées elles aussi à assurer le service pop culture, en compagnie des deux mastodontes Miguel et Thundercat, font mouche.

Hyperdrama partait contre les à priori d’un retour par la petite porte, il sonne finalement comme un étonnant et agréable réveil. Une reprise dans le bon sens de la marche, le sursaut d’orgueil d’une entité bien trop talentueuse et aventureuse pour se vautrer dans une paresse constante. Une bonne surprise.

Alexandre De Freitas

Justice – Hyperdrama
Label: Ed Banger/Because
Date de sortie: 26 avril 2024