Excellent concert de Dry Cleaning hier soir à la Gaîté Lyrique, porté par la guitare virtuose de Tom Dowse : les fans ont été ravis, mais les sceptiques ont-ils été convaincus pour autant ?
Ce soir, c’est à une mission particulière que nous nous livrons, il faut bien le reconnaître : peu fan du quatuor londonien Dry Cleaning, il s’agit pour nous de réviser potentiellement notre opinion sur un groupe apprécié par beaucoup de gens de très bon goût, et qui ne nous a pas vraiment convaincus, ni sur disque, ni sur scène, jusqu’alors : leur prestation à Rock en Seine l’année dernière – sous le soleil ! – s’était avérée très moyenne. Le cadre fonctionnel et élégant de la Gaîté Lyrique est certainement plus approprié à cette musique relativement conceptuelle que l’atmosphère bière et fin d’été d’un festival en plein air…
20 h : La soirée début avec le trio de Murman Tsuladze, que l’on avait vu en première partie de la Fat White Family il y a presque cinq ans. On en avait gardé un souvenir mitigé : une approche originale consistant à mêler les sonorités de la musique géorgienne (pour faire simple) avec un esprit dance floor – un peu comme Altın Gün, si l’on veut, et d’ailleurs Murman manie lui aussi le saz… -, des compositions pas toutes convaincantes et, malheureusement, un humour lourdingue. Depuis cette époque, Murman Tsuladze semble avoir franchement basculé du mauvais côté : il nous a offert ce soir trente minutes sans grand intérêt musical, aggravant son cas à coup de provocations assez infantiles (répétant que Paris est « Crack City » : oui, pas faux, mais bon, on ne pense pas que le public bien sage de Dry Cleaning soit composé de fumeurs de crack…), et surtout une arrogance scénique digne de Liam Gallagher ou du jeune Alex Turner… malheureusement sans le talent de ces derniers… On admet aisément qu’il y a du second degré là-dedans, quelque part, mais on a du mal à l’identifier. Le pire fut encore le dernier morceau, où Murman, désormais torse nu (avec l’inévitable chaîne dorée autour du coup), semble venir de découvrir John Travolta. Passons sur cette demi-heure assez gênante.
21h : Paris est donc la dernière étape de la tournée « EPs » de Dry Cleaning, et le groupe a clairement envie de se donner à fond ce soir. D’ailleurs les deux sets, ou si l’on veut le set principal et son encore (de 7 titres !) totaliseront 1h25, ce qui est proche du maximum pour les Londoniens. Le son est excellent, les lumières généreuses, et le public est composé de fidèles convaincus, presque dévots (Alors que nous cherchions des yeux un ami au milieu de la foule qui se pressait devant la scène, le concert étant complet, une fan nous a dit : « He’s probably with Gary! », une plaisanterie que seuls les vrais adeptes du groupe et de la chanson Gary Ashby, qui clôturera la soirée, peuvent comprendre..). Qu’est-ce qui aurait pu mal se passer ? Rien, et la prestation de Dry Cleaning aura finalement ravi les fans, et sans doute amélioré l’opinion des réfractaires, particulièrement par rapport à la contre-performance de Rock en Seine en août dernier.
Le concept derrière cette tournée est singulier, il s’agit de jouer dans l’ordre deux EPs, le récent Boundary Road Snacks and Drinks et le plus ancien Sweet Princess (datant de 2019). Douze titres enchaînés avant une pause et un retour du groupe pour nous interpréter sept titres plus connus tirés de leurs deux albums, la setlist de cet « encore » variant chaque soir. Même si on peut se demander pourquoi le troisième EP du groupe, Swampy, est exclu du jeu, c’est une approche intéressante. A noter que Florence Shaw porte un t-shirt amusant (« Pisshead » écrit avec la typographie de Portishead), et que son habituelle pantomime éberluée – qu’on peut trouver irritante – passe comme une lettre à la poste, vu que l’on n’a d’yeux ce soir que pour Tom Dowse, guitar hero post-punk comme il y en a peu en activité de nos jours. Quoi qu’on pense du mélange chaud-froid caractérisant Dry Cleaning, regarder et écouter Tom jouer est un pur bonheur : sa conviction, son enthousiasme, tranchant avec la froide distanciation du spoken word et les minauderies théâtrales de Florence, font le sel de cette histoire, entre premier et second degré. Et puis, la section rythmique de Nick et Lewis est elle aussi intense, voire même déchaînée, avec quelques soupçons de headbanging chez Lewis quand la musique se fait plus heavy metal.
Le plus beau moment de la soirée, à notre humble avis, aura été la longue version de Conversation, culminant dans un formidable tunnel bruitiste et furieux – sans la voix, pour le coup – qui nous fait finalement regretter que le groupe n’ait pas joué la carte plus conventionnelle d’un post-punk brutal plus engagé émotionnellement, voire d’un post-rock abstrait sans vocaux.
Une belle soirée musicale, quel que soit le côté où l’on se place, fan ou non de Dry Cleaning.
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
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