Film de SF exemplaire par ses ambitions politiques et métaphysiques, Sky Dome 2123 est aussi une magnifique histoire d’amour, portée par une interprétation inhabituelle dans le cinéma de genre. A ne pas manquer, pour ceux qui aiment les films « différents » du mainstream.
Même si l’on appelle de nos vœux le développement d’une véritable SF adulte sur nos écrans, à l’image de la littérature de genre – qui connaît une véritable nouvelle époque dorée en Asie -, l’influence néfaste de la vision US de ce que doit être un spectacle populaire (commercial) se fait toujours autant sentir. Sky Dome 2123 (« Ciel en plastique » de son titre original, en hongrois) est l’une des premières véritables réussites européennes de cinéma de SF adulte depuis des années (même si on peut évidemment relever quelques belles velléités de s’affranchir des codes US dans le récent Mars Express, par exemple). Et ce n’est certainement pas un hasard si Sky Dome 2123 nous vient d’Europe Centrale, où (l’on imagine que) il existe toujours une riche culture séculaire d’une pensée artistique « non occidentalisée » (non soumise aux codes hollywoodiens)… Et où Tarkovski (celui de Solaris et de Stalker) est une référence bien plus pertinente que Ridley Scott !
Car ce que Sky Dome 2123 nous propose, avant tout, c’est une magnifique histoire d’amour et de deuil au sein d’un couple dévasté par la mort de leur enfant… mais également une réflexion subtile sur la nécessité pour l’Homme de faire le deuil de sa propre Histoire, de ses ambitions délirantes, pour permettre à l’évolution de se poursuivre sur une planète elle-même dévastée par l’activité humaine. Sans jamais avoir recours à l’action, à la violence ou au thriller – la seule scène de tension, une poursuite en camions, ne dure qu’une paire de minutes sur un film qui en fait 112 -, Sky Dome 2123 est une fable quasi métaphysique, en particulier dans sa conclusion, qui n’oublie jamais de s’appuyer sur les plus humains des sentiments, mais également les plus ténues et subtiles des sensations.
Bien entendu, Sky Dome 2123 demandera aux adeptes du genre dans sa forme traditionnelle une patience qu’ils trouveront sans doute difficile de lui accorder. Par rapport à l’investissement financier et humain que représente sa création, on peut craindre que le retour commercial du film soit très insuffisant : peu supporté par les médias qui ont certainement du mal à promouvoir un film aussi « hors normes », aussi lent et dénué de conflits autres que psychologiques et moraux, ne bénéficiant pas du support d’une population jeune et geek comme le cinéma d’animation japonais, et qui plus est dissimulé derrière une affiche laide et passe-partout, Sky Dome 2123 sera-t-il même vu ?
La question de l’esthétique est évidemment au cœur d’un film attaché à décrire les paysages extrêmes d’une Terre rendue stérile par la pollution, mais aussi l’atmosphère artificielle de la vie menée par les rares survivants réfugiés sous un gigantesque dôme « de plastique ». Sky Dome 2123 est généreux en images magnifiques, en dépit de la tristesse – parfois oppressante – qui se dégage de ces peintures de désolation. Pour les personnages, le choix de Tibor Bánóczki et Sarolta Szabó s’est orienté vers la technologie généralement décriée de la rotoscopie : si cette dernière nuit à l’esthétique générale, créant un conflit permanent entre des personnages « à plat » et un fond en CGI (elle-même parfois maladroite dans certaines scènes), elle a permis au film d’intégrer de manière inhabituel – et exemplaire – une subtilité psychologique, une « humanité » réaliste qui ne peut venir que du jeu d’acteurs. Zsófia Szamosi et surtout Tamás Keresztes nous offrent une interprétation de haut niveau, qui participe beaucoup à l’émotion puissante que dégage le film.
A la fois bouleversant et politiquement très clair (la profonde « nocivité » de l’espèce humaine n’y est jamais excusée), Sky Dome 2123 est un grand film de Science-fiction moderne.
Eric Debarnot