Lui-même concerné en tant que « boomer », Bartolomé Seguí dresse avec tendresse et humour le portrait d’une génération qui a connu les révolutions sociales et culturelles des années 60-70, et désormais guettée par l’« obsolescence programmée »…
Ernesto, en pleine crise de la soixantaine, doit se rendre à l’évidence. Il ne pensait pas que ça arriverait aussi vite, mais désormais, il a atteint l’âge de ses grands-parents… et il se sent un peu perdu dans une époque qui lui est devenue étrangère. La sagesse n’est pas venue avec l’âge et ses rêves de révolution se sont effrités. L’avènement d’un monde meilleur ne s’est pas produit, tant s’en faut. Les questionnements défilent, au gré des promenades dans Palma, lors des dîners entre amis ou avec sa femme Lola, sur fond de nostalgie d’un passé révolu…
C’est pas toujours facile d’être un « boomer » ! Comme pour les ados, votre corps change, tout vous agace, et vous vous sentez même encore pas mal rebelle au fond de vous… La différence, elle se situe juste au niveau du miroir, avec ces cheveux blancs qui se sont invités sans votre permission… ce dos un peu voûté et cette brioche narquoise qui vous invitent à vous remettre au sport de toute urgence…
Pour ceux qui ignoreraient encore ce que signifie cet anglicisme, ce n’est que l’abréviation du plus connu « baby-boomer », à savoir tout individu né durant l’explosion démographique de l’après-guerre, jusqu’au début des années 60. La jeune génération « éveillée » l’utilise parfois péjorativement à l’encontre des « vieux mâles blancs » qui ont la nostalgie d’une époque bien genrée — voire bien « burnée » —, et se moquent du réchauffement climatique comme de leur première Renault 16 diesel.
Dans Boomers, rien de tous ces clichés. Ernesto, son épouse Lola et ses amis sont plutôt lucides quant à leur statut dans le monde d’aujourd’hui, et ils ont conservé la conscience politique (forcément de gauche, hein ?) de leurs jeunes années. Tout en tentant de prendre de la distance, car ces seniors vivent avec leur temps (ils sont « connectés » et familiarisés avec les smartphones et Netflix), ils se désolent des effets néfastes des réseaux sociaux sur la qualité de l’information et de l’impact des fake news. Si le récit se déroule en Espagne, pays d’origine de l’auteur, on peut constater que la tendance s’est internationalisée et n’est pas propre à ce pays.
A contrario d’une histoire scénarisée, Boomers est avant tout une réflexion sur le temps qui passe, avec ce constat inévitable sur l’écart qui s’est doucement creusé avec les jeunes générations, symbolisées par la fille d’Ernesto et Lola qui fait une apparition à la fin.
Quant au dessin, il accompagne aimablement le propos par sa simplicité, et constitue une ode à une certaine douceur de vivre espagnole, et à cette ville de Palma, qui, même gangrénée par le tourisme de masse et la gentrification, comme le déplore Ernesto, reste suffisamment avenante ici pour dissuader le lecteur « non autochtone » de s’y rendre.
Boomers s’adresse aussi bien aux personnes nées dans la période 1945-65 qu’aux générations postérieures. Si les premières pourraient y trouver une forme de réconfort grâce au ton léger caractérisant l’album, les secondes sauront peut-être y voir une projection d’eux-mêmes dans la ou les décennies à venir. Globalement, ce n’est pas plombant comme on aurait pu le penser, mais plutôt plaisant voire « feelgood », une expression que pourront comprendre les seniors se faisant un devoir d’être au parfum…
Laurent Proudhon