Soirée créative, baroque, amusante, excitante au Point Ephémère, hier, avec GaBLé et Trotski Nautique : une autre face du Rock français dans ce qu’il a de meilleur, loin des stéréotypes et des courants musicaux qui bégaient.
Si l’on s’extasie en ce moment sur la vitalité et la qualité générale de la scène rock française, il convient de ne pas oublier des groupes qui œuvrent depuis des décennies pour certains, et proposent une musique originale qui n’a pas forcément rencontré son public. L’exemple le plus frappant est GaBLé, groupe caennais féru de musique expérimentale mais accueillante, mêlant dans une approche lo-fi folk primitif, électro bricolée et guitares énervées. Et bien d’autres choses encore. La sortie de leur récent album, PiCK THe WeaK, moins risqué peut-être, a prouvé que GaBLé peuvent aussi faire du rock, du rock « en biais », mais du rock quand même, et donc sont susceptibles d’attirer un public plus vaste que celui de leurs fans, fidèles depuis plus de 20 ans. Aller les voir et les écouter au Point Ephémère était donc une évidence ce soir, même si, malheureusement, nous avons croisé trop peu des habitués des salles de concert, signe que GaBLé a encore du travail pour convaincre les plus réticents.
20h30 : ça commence très fort avec Trotski Nautique : c’est un duo qui fait de la musique électronique minimaliste, ou pour enfants de 6 ans, en faisant preuve d’un humour aussi (faussement) simple que monstrueusement efficace. En fait, le mec qui raconte plein de bêtises (et de vérités aussi) hilarantes, c’est l’artiste de BD David Snug, dont on appréciait les œuvres sans savoir qu’il a donc aussi son groupe… On démarre un set de 45 minutes qui vont en paraître 15, par une chanson expliquant pourquoi ils détestent aller aux concerts, avant d’enchaîner avec une ribambelle de trucs surréalistes, comme une chanson anti-David Lynch (« J’aime pas les films de David Lynch, parce que j’y comprends rien »), une autre contre le tri sélectif (« dans le bain faut faire caca » ou quelque chose comme ça), une troisième contre Patricia Kaas (confondue avec le Patriarcat), etc. Et puis on a droit à une version au pipeau de Blue Monday (la chanson s’appelle New Ordure et parle de leur pote de Manchester, « Pitouc » !). Sur leur chanson d’amour entre deux personnes qui ne se sont jamais rencontrées, la vidéo derrière montre un « copain qui va bientôt aller en prison » (ce bon vieux Gégé). Et puis il y a eu cette chanson euh… politique sur le Déterminisme social (« … au mieux tu finiras prof »). Le dernier titre (Ça sent le Mennen !) est une reprise au pipeau de Smells like Teen Spirit, avec des photos de Guns N’Roses ou de Jean-Louis Aubert qui défilent dans la vidéo. Mais le moment-clé du set a été quand une partie du public a fait une chenille, « comme en Province » (« on est le seul groupe de première partie qui a organisé une chenille au point Ephémère ! »). Leitmotiv de la soirée : « Il y a une bonne ambiance, merci à l’organisation. On vend ce disque 2 € »… répété systématiquement entre les chansons. Bref, 45 minutes de grand plaisir, exacerbé par un dialogue permanent entre les artistes et le public qui s’est largement pris au jeu. Mémorable !
21h35 : Nous devons avouer que nos zygomatiques sont encore fatigués quand le trio de GaBLé démarre son set avec FRuiTion, l’intro de PiCK THe WeaK, une chanson qui a définitivement quelque chose de « sparksien ». Le matériel est aligné sur le devant de la scène, les trois musiciens changeant de temps en temps de place et d’instruments. Gaëlle est la plus joyeuse – elle a du mal à retenir ses sourires devant la petite fille au premier rang qui danse comme une folle ! -, Thomas est celui qui introduira le plus de fantaisie dans le set (jusqu’à la destruction rituelle d’une cagette en bois à la fin du concert ! C’est certainement moins cher que de casser une guitare quand on n’est pas des superstars du Rock !), tandis que Mathieu, très sérieux, s’applique ce soir avec sa guitare à porter la musique de GaBLé vers des atmosphères moins folk, moins « bricolées » que par le passé : en live, il y a incontestablement des dérives bruitistes, kraut parfois, qui témoignent d’une évolution du groupe vers des rivages plus accueillants pour le public Rock habituel.
Ce qui ne veut pas dire que GaBLé aient tiré une croix sur les choses audacieuses : des merveilles comme iNSTRuCTioNS, iT MaKeS SeNSe ou We LooK AWay nous évoquent, répétons-le, le travail avant-gardiste des Nits. Quant au phrasé bégayant, voire épileptique, de Purée Hiphop, il surprend, puis ravit : il nous rappelle qu’on peut se jouer de tous les codes, tout en livrant une musique excitante et novatrice. Même si le Point Ephémère n’affiche (malheureusement) pas complet, l’enthousiasme du public qui s’implique émotionnellement dans la musique porte le groupe vers l’excellence.
On termine – sans sacrifier au rituel de la sortie de scène avant le rappel – de manière électrique sur le « classique » DRuNK FoX iN LoNDoN, interprété dans une version éloignée de l’original de 2008, moins électronique et expérimentale, et joliment bruitiste : on aimerait que ce genre de passage quasiment « kraut » dure plus longtemps, car ce sont là des moments où GaBLé soulève notre enthousiasme.
On espère revoir ces Normands hyper-créatifs très rapidement sur scène, et qu’ils récolteront plus d’intérêt de la part du « public Rock », pas assez nombreux ce soir au Point Ephémère.
Texte et photos : Eric Debarnot