The Kills étaient de retour à Paris et visiblement heureux de l’être. Avec une setlist difficile, centrée sur le dernier album, ils ont confirmé aux amateurs de guitare incandescente et de posture rock’n’roll qu’ils restaient imbattables sur le sujet. Après, on peut toujours penser que « c’était mieux avant… »
God Games, le dernier album de The Kills, sorti fin 2023, n’est pas un album aussi facile à aimer que certains de ses prédécesseurs, et dans le cœur des fans – depuis plus de vingt ans désormais -, il ne se substituera pas à Keep on Your Mean Side (l’explosif début du duo) ou à Blood Pressures, l’album quasiment parfait de la maturité, en 2011. Du coup, on attendait avec un peu de circonspection ce qu’Alison et Jamie allaient nous offrir pour ce nouveau passage à Paris, une ville qui les aime, et qu’ils prétendent aimer. Un peu inquiets (les années passent, une telle fulgurance peut-elle résister aussi longtemps à l’usure ?), très excités aussi (le set des Kills à Rock en Seine en 2017 avait été magnifique), nous nous sommes donc pressés dans une Olympia sous pression, et sold out depuis très longtemps.
20h00 : en première partie, on nous gâte, puisqu’on nous offre Picture Parlour, la dernière sensation venue d’Angleterre, portée au pinacle par la presse locale avant même qu’un seul single soit sorti (il y en a deux maintenant, Judgement Day et Norwegian Wood, tous deux joués, évidemment, ce soir), puis descendus en flamme dans la foulée : il y a des choses qui ne changent pas Outre-Manche ! Bien entendu, un peu comme ce fut le cas avec Wet Leg et The Last Dinner Party avant, ce « girls band » appuyé par un mâle à la batterie, ne mérite ni excès de gloire, ni excès de critiques, au moins pour le moment. Dès le premier titre, la voix de Katherine Parlour, très soul, mais également parfaitement maîtrisée (ce qui n’est pas souvent le cas dans le Rock…), impressionne : cette introduction a « quelque chose de Nick Cave », impression renforcée par le choix des trois filles de porter sur scène des costumes formels, ou tout au moins des vêtements classiques, élégants et sophistiqués. La musique, quant à elle, sonne très seventies, avec quelques accents « hard rock » même, par instants. Il faut bien reconnaître que c’est très frais, et finalement original. On passera sur les minauderies excessives de la bassiste, sous les feux des photographes, et on retiendra surtout, au-delà de chansons qui ne sont pas forcément marquantes à la première écoute, cette voix magnifique de Katherine Parlour, qui garantit certainement un avenir musical au groupe.
21h00 : Alison et Jamie sont là, le public est en délire : The Kills attaquent leur set – qui durera une heure et demie, rien à y redire – par l’enchaînement sublime de Kissy Kissy et de U.R.A Fever (extrait de Midnight Boom, un album un peu mal aimé…). Au bout de trente secondes, on sent que, « Oui, c’est ça ! » : les Kills, les grands, les immenses Kills sont de retour. Et on avait (un peu) oublié combien ils étaient parfaits : nerveux, élégants, la classe « Rock’n’Roll » totale, comme peu de groupe l’ont vraiment eue dans toute l’histoire (eux et The Clash, c’est sûr, et qui d’autre ?). Et combien leur musique était parfaite : nerveuse, élégante. Tranchante. Près de l’os. Sonique aussi, car ce soir, la guitare de Jamie n’est rien moins que dantesque. A part Jack White (et Neil Young, historiquement), qui est capable de sortir un tel son de son assemblage d’instruments, de pédales, de consoles, de têtes d’amplis et d’amplis ? Hein, on vous le demande ! Ce son à la fois clair, combinant l’organique et l’électronique de manière inconcevable, et absolument apocalyptique.
S’il n’y avait eu que ça, quatre-vingt dix minutes à se faire laver (au karcher) les oreilles de tous les sons médiocres qu’on entend tous les jours, on aurait déjà élu ce concert « concert de l’année ». Mais il y a évidemment tout le reste, la voix d’Alison, la gestuelle des deux complices, ce ballet de chats sauvages (on sait que c’est un cliché, mais quelquefois les clichés sont juste inévitables !), la complicité évidente entre eux et avec le public. Les clins d’œil, les sourires, la gentillesse qu’ils dégagent (et cette distribution de verres d’eau aux premiers rangs, sans parler des centaines de gobelets préparés à la sortie quand nous avons quitté la salle). Et le sentiment que les années n’ont finalement pas de poids sur ce groupe, sur ces deux musiciens radieux, espiègles, incroyablement généreux…
Et les chansons ? On en parle, des chansons ? Bon, onze des vingt-deux titres joués ce soir étaient tirés de God Games, ce qui, évidemment, ne favorise pas autant l’extase générale que si The Kills nous avaient offert un vrai best of, mais il restait onze titres parfaits pour sauter dans tous les sens en hurlant de joie. Honnêtement, dans la dernière partie du set, aligner Black Balloon, DNA, Doing It To Death et Future Starts Slow nous a mis purement et simplement les larmes aux yeux ! Après ça, le rappel retournant à God Games a fait descendre la pression, mais a joué habilement d’autres cartes, jusqu’à un Sour Cherry conclusif qu’on a écouté, foudroyés, sur les rotules.
Ah, on n’a pas parlé des deux choristes magistrales qui sont intervenues sur quatre titres, mais c’était une excellente idée, car ça a apporté une sorte de lyrisme additionnel, inhabituel, qui a mis en valeur d’autres aspects de la musique : DNA, par exemple, est devenu une sorte de torrent irrépressible d’émotions…
Quand on a expliqué, à la sortie, à des amis moins enthousiastes (eh oui, il y en a eu…) que, pour nous, The Kills représentent (toujours) une certaine idée de la perfection « rock’n’rollienne », ils nous ont répondu : « Et la fureur ? Elle est où, la fureur ? ». Ce qui nous est venu immédiatement à l’esprit, c’est : « Fuck la fureur ! Tant qu’on a la Beauté ! ».
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
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