Groupant la paire de concerts donnés à Dublin lors d’une tournée historique à plus d’un titre, A Reality Tour est le testament de Bowie sur les planches. Un succulent menu best-of, dont la générosité est quasiment aussi jouissive que la folie désormais lointaine des seventies.
Les cent douze concerts du Reality Tour en font la tournée la plus longue de la carrière de Bowie. Pour la peine, l’Irlande aura deux dates, le 22 et 23 novembre 2003 au Point Theatre de Dublin. Le circuit européen a débuté à Copenhague le 7 octobre, le groupe est encore frais et cela s’entend dès les premières notes. Ça claque vite, fort et bien. Mark Plati étant retenu en d’autres lieux, Gerry Leonard (natif de Dublin, que le public de l’étape acclamera en conséquence) a repris la direction musicale, insufflant un vent de fraîcheur arty aux arrangements des compositions. Rebel Rebel est une intro absolument idéale, présentée dans sa version retravaillée pour les bonus de Reality, où l’entièreté du premier couplet est remaniée pour donner encore plus de poids au mythique refrain de la chanson. Les Gibsons de Slick et Leonard cisèlent le riff avec une fluidité magistrale et Bowie revêt son phrasé le plus taquin pour accueillir le public. S’ensuit une trentaine de titres regroupant les deux nuits irlandaises successives. Il serait illusoire de chercher à retracer la linéarité d’un concert bicéphale, mais le choix des titres présentés est une belle leçon de setlisiting.
Le nouvel album est bien mis en valeur, avec pas moins de sept chansons au total. L’éponyme Reality sonne presque encore mieux en live, propulsée par la fuzz d’Earl Slick, qui semble vouloir rendre hommage à Mick Ronson, et une section rythmique au cordeau qui pétarade avec facétie. New Killer Star passe l’épreuve des planches sans férir, portée par des riffs jouissifs et une ligne de basse aussi labyrinthique qu’irrésistible. Fall Dogs Bomb The Moon est propre et efficace, relevant presque de la promenade de santé pour un groupe que l’on devine parfaitement rôdé. Dans leur registre plus méditatif, The Loneliest Guy et Bring Me The Disco King magnifient la voix de Bowie et le piano de Mike Garson, une combinaison désormais légendaire, mais toujours bouleversante. Les atours très ludiques de Never Get Old et Days offrent de jolies interactions harmonisées entre Bowie et ses choristes.
Là où nombre d’artistes (surtout après quarante ans de carrière) peuvent avoir tendance à occulter leur avant-dernier album au profit du dernier-né, on est agréablement surpris de voir que Heathen n’est aucunement passé à la trappe. La reprise du Cactus des Pixies s’avère encore plus vivace en live, au point que Bowie s’amuse à glisser une citation de Bang A Gong (Get It On) avant le couplet final. Afraid fournit à Sterling Campbell une parfaite occasion de tabasser ses fûts avec art. Sunday, Slip Away et 5:15 The Angels Are Gone font la part belle aux guitares expressionnistes de Gerry Leonard, qui démontre une maîtrise bluffante de la pédale whammy. Sur Heathen (The Rays), on reste suspendus à la beauté de la voix de Bowie, tandis que la batterie monte dans les tours en arrière-plan. Naturellement, les classiques des seventies abondent. Outre le Rebel Rebel introductif déjà mentionné, Fame, Life on Mars?, All The Young Dudes, ‘Heroes’, Ziggy Stardust, Changes et The Man Who Sold The World figurent au menu. On apprécie tout particulièrement de retrouver d’autres titres moins évidents, mais chers aux cœurs des fans. Fantastic Voyage, Be My Wife, Hang On To Yourself, Breaking Glass et Five Years sont des inclusions d’un goût très sûr.
Les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix sont abordées avec parcimonie et raison. Le tube Let’s Dance ne figure plus dans la setlist depuis déjà quelque temps (Bowie et Earl Slick affirmaient s’en être lassés) mais l’album est tout de même représenté via l’inclusion de China Girl. L’indémodable Ashes To Ashes est un unique mais indispensable extrait de Scary Monsters, et Gail Ann Dorsey prend comme à son habitude le micro pour un Under Pressure exemplaire. La véritable surprise du lot est sans doute Loving The Alien, revisitée dans un arrangement de toute beauté, où Gerry Leonard récrée la structure harmonique de la chanson en superposant des arpèges acoustiques dans un looper. Sans surprise, Bowie chante sublimement. Hallo Spaceboy et The Motel commémorent dignement Outside, tandis que Earthling est célébré avec Battle For Britain (The Letter) et l’hymnique I’m Afraid of Americans. En parlant de yankees, d’ailleurs, Bowie a même pensé à rendre hommage à son vieil ami Iggy Pop, dont il reprend le Sister Midnight avec fidélité. La grande classe.
Le Reality Tour n’a tout simplement pas donné de concerts médiocres ou mauvais. La totalité des captations rendues publiques documente un groupe en grande forme, mené par un Bowie très en voix. La star semblait prendre beaucoup de plaisir à voyager, reparaissant même sur des scènes plus foulées depuis les années quatre-vingts (en Océanie, notamment). Chaque soirée dépasse systématiquement les deux heures et les setlists changent constamment, car les musiciens ont répété plus d’une soixantaine de chansons au total.
Tout semble au beau fixe, et pourtant… A l’approche de l’été 2004, les événements prennent une tournure regrettable. Un technicien fait une chute mortelle avant une date américaine qui sera annulée. À Oslo, le 18 juin, Bowie est frappé dans l’œil par une sucette malencontreusement lancée depuis le public. Plus de peur que de mal, mais il n’en sera pas de même cinq jours plus tard à Prague, quand le chanteur est victime d’une attaque cardiaque qui l’oblige à écourter son concert. La date allemande du 25 juin au Hurricane Festival sera le point final de la tournée. On a diagnostiqué à David une artère obstruée qui requiert une angioplastie. Ce sera son premier adieu, puisqu’il ne repartira plus jamais en tournée après cette opération. Néanmoins, il nous réservait encore quelques surprises de belle taille.
Mais, chut ! C’est une autre histoire pour un autre samedi…
Mattias Frances
Bowie et son groupe assurent à l’aise dans ce concert fleuve. Difficile à écouter d’une traite tant l’oeuvre part dans tous les sens. Je préfère picorer quelques titres : Sister Midnight, Fantastic Voyage et les chansons de Heathen…mais le chant du cygne (noir) sur la fin tant les déconvenues frappent les derniers concerts. Le coup de la sucette….franchement quelle époque débile…Bowie a visiblement trop tiré sur la corde. Je me souviens d’avoir été frappé par son visage très fatigué dans le formidable documentaire sur les cinq dernières années de Francis Whately.