Midscale – Movements : mécanismes conscients

Midscale a tenu la promesse d’immortaliser toute la puissance des émotions qu’il convoque sur scène. Sur un premier album détaillant le relief vertigineux d’une existence, le quatuor parisien défend des titres réfléchis, abrasifs, et d’une sincérité remarquable.

Midscale © Sarah Hottiaux
© Sarah Hottiaux

Le shoegaze se porte bien, et tout autant qu’elles imprègnent invariablement le style de leurs héritiers, ses grandes influences anthologiques que sont Slowdive, Ride et Lush, ou celles en passe de le devenir comme DIIV, ne portent pas seules son étendard. De la même manière que le revival post-punk nous donne à découvrir chaque semaine de nouveaux porte-paroles, sans qu’on n’en garde finalement qu’une poignée dans le viseur, le shoegaze a ses lots de communs tribuns et d’intéressantes nouvelles têtes. Il y a ceux qui suivent la recette et ceux qui prennent des détours, s’inspirent, s’éloignent et décrassent leurs pédales. Midscale se positionne dans la seconde catégorie.

Midscale MovementsLe quatuor parisien s’avance sur Movements avec une humble assurance, tout comme il l’a fait sur la scène du Bataclan avant Explosions in the Sky, avec ces mêmes morceaux plusieurs fois vécus, éprouvés et habités en live avant que d’atterrir sur ce premier album. Celui-ci consacre la véritable identité du groupe et rend justice à un travail de long haleine, maturé à la Cuve, le studio qui a aussi accueilli Fragile et Péniche.

Movements est un alliage brillant de matériaux bruts. Entre la crudité de la frange écorchée du shoegaze et la mélancolie de celle plus enlevée, s’immisce la pugnacité du post-punk et l’éloquence du post-rock. Le tout incarne avec finesse les dits mouvements de ce premier album. Va-et-vient du cœur qui tantôt saigne, pleure, crie. Turbulences d’un esprit en perpétuelle définition, oscillant entre la brutalité des sentiments et le discernement de la raison.

Nothing, sa section rythmique percutante, sa voix impétueuse et ses attaques sentencieuses échafaudent ensemble une sourde révolte intérieure, incitent à venir se brûler les mains sur la chaîne qui nous treuille sans cesse vers l’action pour jeter un regard entre les plis du mécanisme. La suite de l’album se niche dans ces entre-deux, resserre sa focale sur l’indicible, exacerbe les ressentis, bannit le refoulement. Douceur et amertume s’enlacent autour de la mélodie planante de Bleeding in the Backseat et son histoire d’amour sanglante, puis se meuvent en mélancolie et en regrets. Faussement accueillant donc, le titre troque la rêverie contre le trouble d’une intimité torturée, mais laisse à Love le soin de signer une trêve de quelques accords enveloppants et rassurants. Là, danse sans crainte une foule de sentiments encouragée par la progression sereine du morceau.

Silence ensuite. Une fois, deux fois, jusqu’à laisser affleurer le bruit des vagues, qui bientôt se confond avec celui du grésillement d’un conduit mal refermé, occupant rapidement tout l’espace. Rien, plus rien n’existe que cette nappe qui croît, s’étend, s’étire, et offre à Lush libre droit de tirer l’embarcation de nos peines sur ses arpèges audacieux. Le torrent se déverse, déborde largement du lit de la rivière, s’écrase contre la roche, s’érige en mur sonore dantesque où percent toujours quelques notes primaires, comme phare dans le brouillard de ces vagues et de cette pluie diluvienne. Et puis, l’accalmie. Les ongles libèrent de leur tranchant des paumes rougies par la pression, les guitares se taisent, doucement l’horizon se découvre, le déluge se retire et laisse à Well la charge d’incarner ses conséquences et l’appréhension de la reconstruction. Tel un chant du cygne clamé par anticipation, pistes et passions s’agrègent prodigieusement et saturent jusqu’à l’essoufflement. Avant que nos poumons ne s’embrasent tout à fait pourtant, Peat nous cueille au vol, presse nos veines et nous insuffle une bouffée d’adrénaline au creux de l’estomac. Le vent dans le dos, il nous dépose sur la ligne de basse placide de Black in May – en écho, presque, à celle agitée de Nothing – dernier titre contemplatif, en apothéose d’une traversée éprouvée en première ligne, vécue et retranscrite avec intensité et sincérité.

Les mouvements détruisent et édifient. Le cœur battant du premier album de Midscale est un nœud qui se noue, se défait, s’emmêle, marque des repères et s’éloigne. Movements marque de sa profondeur, obscure certes, mais surtout personnifiée avec justesse. Il propose un itinéraire d’une pertinence rare, tout en offrant mille détours à qui voudra creuser la dense matière de ce premier album. Déjà, Midscale peut s’asseoir à la table du shoegaze français sans rougir.

Marion des Forts

Midscale – Movements
Autoproduction
Date de sortie : 12 avril 2024