Remarquable réflexion sur l’usage du pouvoir détenu par les autorités, et la manière dont celui varie en fonction de critères raciaux, Border Line est un faux thriller qui demande l’attention de son spectateur pour révéler son intelligence.
Qui est déjà arrivé à l’aéroport de Newark, et a dû affronter les redoutables policiers contrôlant l’accès des voyageurs aux USA, part déjà avec un avantage certain du point de vue empathique, vis à vis des personnages de Border Line : il n’y a rien d’exagéré dans ce que le film de Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vasquez nous décrit minutieusement pendant une heure et quinze minutes. Et ce sentiment de culpabilité qui nous envahit automatiquement, lorsque nous devons affronter frontalement le pouvoir démesuré que ces simples fonctionnaires ont sur ceux qui sollicitent l’entrée sur le territoire états-unien, est bel et bien réel… même si nous n’avons absolument rien à nous reprocher !
Diego est vénézuélien, et est en couple (non marié, mais en « union civile ») avec Elena, pure Catalane (et clairement fière de l’être), qui a gagné sa « green card » permettant de résider aux USA à la loterie annuelle. Ils ont tous deux décidé de tenter une nouvelle vie outre-Atlantique, sans réaliser vraiment que le visa qu’ils ont reçu dépend en fait de l’approbation des contrôleurs à la frontière, « upon entry » (« Upon Entry » est le véritable titre du film, remplacé en France par le stupide « Border Line« ), c’est à dire « à l’entrée sur le territoire ». Et voici notre couple à la merci de fonctionnaires bien décidés à mettre leur vie littéralement en pièces…
Huis clos terriblement anxiogène, remarquablement filmé et interprété (et, dieu merci ! sans aucune musique !), Upon Entry n’est pas un thriller, même s’il est marketé comme tel pour attirer le grand public (en particulier du fait d’une bande-annonce plutôt mensongère). Il ne faut attendre aucune révélation, aucune surprise, aucun twist à la fin du film (d’où la déception exprimée par certains spectateurs) : ce que le film détaille de manière précise, objective, c’est l’usage immodéré du pouvoir par « les autorités » vis à vis de ceux qui tombent entre leurs griffes, un pouvoir littéralement destructeur, même si la violence se limite aux mots, aux humiliations infligées, à la terreur qu’on fait naître chez les « victimes ».
Mais là où les Vénézuéliens que sont les auteurs (scénaristes et réalisateurs) du film ajoutent un niveau de richesse et de complexité dans Upon Entry, c’est évidemment en montrant le fonctionnement du racisme quotidien : Elena est de nationalité espagnole (même si elle corrige à chaque fois en disant qu’elle est « de Barcelone », rappel de l’arrogance catalane vis à vis de l’Espagne), et elle ne sera pas traitée avec autant de brutalité que Diego, Sud-Américain originaire d’un pays en déréliction, obligatoirement soupçonné d’être un menteur, un manipulateur, peut-être un criminel. Face à Diego, il y a le personnage formidable de l’agent Vásquez, elle aussi d’origine sud-américaine, qui plus est plus « typée physiquement » que Diego, qui lui crache au visage son mépris : son « je préfère encore les clandestins qui passent la frontière » traduit la violence terrible de l’Amérique trumpienne vis à vis des démunis. Mais le film rappelle aussi, avec pertinence, qu’être Sud-Américain en Espagne n’est pas une sinécure : lorsque Vásquez souligne à Elena que ses parents sont racistes (vis à vis de Diego), celle-ci répond (à peu près…) : « Non, c’est juste leur culture, celle d’une autre époque » !
Upon Entry déploie donc une finesse d’analyse, une intelligence peu commune, sans jamais sacrifier à la facilité et aux gros effets démonstratifs. Sa conclusion, remarquable, et parfaitement logique, ne peut faire oublier que ce à quoi nous avons assisté, c’est littéralement à la destruction d’un couple.
Eric Debarnot