« Nul crépuscule n’est trop puissant » de Dwyer Murphy : le spleen de New York

Un avocat enquête sur la disparition d’un collectionneur de livres rares. Nul crépuscule n’est trop puissant pastiche le roman noir et nous offre une déambulation new yorkaise mélancolique qui n’est pas sans évoquer les premiers Paul Auster.

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© Carolina Henriquez Schmitz

« La première fois que j’ai vu Newton Reddick, il était ivre devant l’immeuble de la Poquelin Society, sur la Quarante-Septième Rue Est. » C’est par cette phrase que s’ouvre Nul Crépuscule n’est trop puissant, le premier roman de Dwyer Murphy publié par le Gospel. Cette phrase, qui évoque un incipit de polar, donne le ton du livre. Le décor est planté (New York, nous y reviendrons) et l’évocation de cette mystérieuse « Poquelin Society » qui installe un jeu avec les citations et les références qui va parcourir tout le roman. On pense évidemment d’emblée à un célèbre dramaturge français, mais aussi, peut-être plus étrangement, à Thomas Pynchon et aux nébuleuses organisations que l’on découvre dans ses romans – des romans qui aiment détourner les genres, un peu comme ici.

Dwyer-Murphy_Nul-crepuscule-n-est-trop-puissantNul crépuscule n’est trop puissant commence en effet comme un classique roman noir : un avocat est contacté par une certaine Anna Reddick, une jeune femme en pleine procédure de divorce. Elle lui demande de retrouver une précieuse collection de livres rares que son mari aurait volée. Dwyer Murphy – c’est aussi le nom du personnage – s’acquitte sans mal de cette tâche, avant de découvrir que sa cliente n’est pas Anna Reddick et que le mari de cette dernière a disparu… Engagé par la vraie Anna, une romancière à succès, Murphy doit reprendre son enquête.

Comment, à la lecture de ce bref résumé, ne pas penser à Paul Auster et à sa géniale Trilogie New Yorkaise ? Si Dwyer Murphy ne va pas aussi loin dans le vertige métaphysique que Paul Auster, les deux romanciers entretiennent bien des points communs, à commencer par le décor : New York. Et comme l’enquête du personnage s’apparente plus à une déambulation qu’à une rigoureuse investigation policière, on va avoir le loisir de le suivre dans ses errances – errances qui le conduisent dans de multiples librairies mais aussi dans des cinémas d’art et d’essai. Le roman est ainsi truffé de références littéraires et cinématographiques. Impossible d’en dresser la liste tant elles sont nombreuses mais nous reviennent en mémoire Edith Wharton, Roberto Bolaño, Jean-Pierre Melville mais aussi le Chinatown de Roman Polanski évoqué au cours d’un dialogue qui fournit en partie les clés de cet étrange récit.

On l’aura compris, Nul crépuscule n’est trop puissant est une sorte de méta-roman qui use de la citation pour réfléchir sur lui-même. Pour autant, le livre de Dwyer Murphy n’est jamais prétentieux ni abscons. L’intrigue est au contraire assez simple et les clés de l’énigme policière qui charpente le récit seront bien livrées à la fin du livre. En revanche, le mystère qui entoure certains personnages ne se dissipera jamais totalement. Tout le roman baigne ainsi dans une sorte de spleen qui accompagne partout notre sympathique apprenti enquêteur. Même s’il entretient d’évidents points communs avec l’auteur, ce personnage reste assez flou : son nom est donné au détour d’une phrase, alors même que son interlocuteur s’est trompé et l’a appelé « Dwight Murphy ». Pour autant, on s’attache très vite à cet avocat lettré et cinéphile, qui a quitté le prestigieux cabinet qui l’employait depuis des années. Cette liberté retrouvée lui permet de travailler pour un dispensaire, pour ceux qui ont vraiment besoin d’aide. Mélancolique, presque indolent, il aime aller au cinéma en plein après-midi ou s’installer dans une chaise de camping, sur le trottoir, pour lire au milieu de toute cette vie qui agite Brooklyn.

Nul crépuscule n’est trop puissant est donc un étrange roman noir, une sorte de polar qui dérive lentement dans un New York magnifiquement dépeint par Dwyer Murphy.

Grégory Seyer

Nul crépuscule n’est trop puissant
Roman de Dwyer Murphy
Traduit par Alex Ratcharge
Éditeur : Le Gospel
272 pages – 20 €
Date de parution : 19 avril 2024