Ce n’est pas être nostalgique d’un âge « classique » du Rock que de reconnaître que Matinee Idols, le dernier album de Johan Asherton est une mine d’or : s’y déploient les charmes d’un songwriting de haut niveau, mis en valeur par une interprétation et une production impeccables.
Quelqu’un se souvient-il encore ici des Froggies, groupe parisien que l’on qualifiera, avec la paresse intellectuelle qui caractérise l’étiquetage, de « garage punk », et qui fit merveille au début des années 80 ? Oui ? Non ? Eh bien, peu importe car Johan Asherton, le leader des Froggies, vaut (encore) bien mieux que ça. Ou alors, il se peut plutôt que, ce qui arrive plus souvent qu’on le pense, que Johan Asherton se soit bonifié avec l’âge. Car Matinee Idols, son dernier album, est un objet quasiment merveilleux. On vous explique…
Asherton, tout français qu’il soit, et dieu sait qu’on a tendance dans le Rock, à retenir ça contre les artistes, est tout simplement aujourd’hui quelqu’un qui s’inscrit dans la haute tradition des Dylan, Cohen, Lou Reed et consorts. Comme si, à force de les écouter, de les respecter, de les célébrer, il était arrivé à se hisser – pas toujours, certes, mais suffisamment souvent pour que ça vaille la peine de le mentionner – à leur niveau. Matinee Idols, nous est présenté comme un hommage, finalement assez évident pour nous, rockeurs cinéphiles, aux films qui ont nourris nos rêves, et donc aux stars de la période « classique » d’Hollywood, comme en témoigne la photo de la pochette, extraite de A Place In The Sun de George Stevens, avec Monty et Elizabeth Taylor : il démarre de manière modeste dans un folk rock sage, et puis éclot avec une grâce inespérée, pour devenir un album formidablement attachant. Précieux par bien des aspects… Finalement, avec ce disque, Johan Asherton s’établit fermement comme un frère d’inspiration de notre cher Elliott Murphy, qui lui aussi est parti de sa vénération pour d’autres artistes l’ayant précédé (Dylan, F. Scott Fitzgerald, etc.) et a construit son Art là-dessus, pour arriver à des albums magistraux…
… Une parenté avec Elliott Murphy qui saute aux yeux (aux oreilles) sur Enfant Terrible, l’ouverture de l’album : la guitare acoustique, le piano, la célébration feutrée mais intense du « Rock’n’Roll ». Et cette mélodie, absolument évidente qui fera de la chanson un plaisir certain en live. Paramour est une balade romantique où la voix basse et fatiguée d’Asherton fait merveille, jusqu’à l’arrivée d’un saxo nostalgique, qui nous fait fondre. Mirror on the Wall, morceau quasi country et très relax, fait à nouveau écho à ces chansons tranquilles mais formidablement proches de nous que Murphy égrène depuis des années : une sorte pause avant d’attaquer les choses sérieuses.
Car on débouche sur le premier chef d’œuvre indiscutable de l’album : Tinseltown, sombre ballade qui évoque forcément le spectre magnifique de Johnny Cash, avant de rebondir vers la lumière grâce au duo masculin – féminin, suivant le format classique « la Belle et la Bête ». Dans la foulée, Addiction nous fait le coup de la nostalgie sixties : imparable grâce à une mélodie chatoyante et des vocaux qui vont, cette fois, vers la légèreté. On croirait avoir affaire à un véritable classique des années 60, et c’est délicieux. Navire Night est le second sommet de l’album, débutant sur des cordes élégantes, avant de se déployer sur un chant magnifique d’Asherton, en particulier avec cette répétition obsédante du refrain, « Aboard the Navire Night » (une autre référence cinématographique, cette fois au film de Marguerite Duras, avec Bulle Ogier…). Quand une voix féminine complète la partition (le paysage ?), on se dit que c’est là le genre de chanson pour laquelle nombre de compositeurs tueraient père et mère.
No Doubt About It, puis Small Talk voient Asherton jouer dans la cour du Bryan Ferry de As Time Goes By, voire du Tom Waits de la grande époque, et, incroyablement, le défi est relevé avec brio, du fait de la grâce des compositions, de la classe vocale, mais aussi d’une production absolument impeccable, à la fois joueuse et de très bon goût : cette parenthèse jazzy / rétro marque un pas de côté par rapport au reste de l’album, mais lui apporte aussi une variété formelle excitante. Retour à la pop tendance sixties avec l’enlevé For Added Charisma : encore une chanson parfaitement accueillante, qu’on est capable de reprendre en chœur dès la première écoute, qui rappelle l’universalité et l’intemporalité de certains standards musicaux. Raptures of the Deep referme ce catalogue brillant de la meilleure manière qui soit : dans un romantisme doux amer, mais finalement porteur d’un indicible espoir (« And Baby, I’ll help you… ») de pouvoir échapper à l’abime, qu’un chant « à la Cohen » lesté d’un pathos magnifique…
… Referme ? Pas forcément, car les versions CD et digitales de l’album bénéficient de deux reprises impeccables, même si sans doute un tantinet trop sages, trop similaires aux originaux : on parle de morceaux comme Take a Chance With Me de Roxy Music et le Lay Lady Lay de Dylan, alors sans doute qu’un certain respect s’imposait…
… De toute manière, les 10 chansons qui précédaient ont indiscutablement confirmé la classe infinie de Johan Asherton. Vous pouvez bien entendu décider de passer à côté d’un disque que certains jugeront trop « passéiste » : ce serait vous priver d’un immense bonheur, celui de profiter d’une musique qui n’a tout simplement pas d’âge. Comme Johan Asherton.
Eric Debarnot