Et si l’une des meilleures formations rock actuelles nous venait d’Afrique ? Porté par son charismatique leader, Mdou Moctar confirme avec Funeral for Justice que l’on peut mêler une énergie solaire et positive à des textes lourds de messages forts. Le desert blues s’est définitivement trouvé son meilleur ambassadeur.
Malgré le poids des années, des artifices artistiques ajoutés et de ses mutations, le rock est et restera toujours une musique contestataire. C’est l’essence même de son existence et de sa longévité. Dénonciation d’inégalités sociales, de dérives politiques, d’oppressions en tout genre, les sujets ne manquent clairement pas. Alors lorsque l’on est originaire d’une des régions du monde les plus en proie aux difficultés entre coups d’Etat, guerres, terrorisme, faim, la matière est toute trouvée. Guitariste nigérien de talent, leader d’un quartet qui porte aujourd’hui son nom, Mdou Moctar a roulé sa bosse pour devenir l’une des figures les plus emblématiques de la scène africaine.
Une décennie de bouche à oreille, de morceaux circulant sous le manteau dans le Sahel, de performances dans des cérémonies de mariage, puis les apparitions sur diverses compilations avant d’enchaîner les sorties d’albums. Et de débarquer avec fracas chez Matador pour le grand envol, Afrique Victime, en 2021 où le niveau d’exposition a littéralement explosé. Le cocktail rock-blues à l’ADN oriental et touareg de conquérir les oreilles et les cœurs de curieux de plus en plus nombreux. Trois ans plus tard, Funeral for Justice vient prendre le relais et pousse le concept encore plus loin.
Cette dichotomie entre l’ambiance sonore joyeuse, contagieuse, énergique et les cris d’alarme profonds, pessimistes atteint son paroxysme ici. Composé de musiciens hors pair – auquel est venu se greffer le bassiste et producteur Mikey Coltun -, le band se montre d’une redoutable efficacité pour produire à la pelle des morceaux rythmés, où les influences berbères, locales se mêlent naturellement à l’électricité rock’n’roll. L’effet sur le système psychomoteur est à chaque fois immédiat, l’envie constante de taper du pied, des mains ou de n’importe quelle partie du corps humain. Impossible de lutter, c’est juste physique. Et si les versions studios sont déjà à elles seules des hymnes à la danse, aucune peine à imaginer la puissance de leur déclinaison live, domaine où le groupe s’est forgé une solide réputation.
Mais ce qui pourrait n’être qu’une invitation à la fête prend finalement une toute autre dimension aux allures de brûlots au gré des chants et des textes accompagnant les compositions. On part de la revendication ethnique avec les excellents Imouhar et Sousoume Tamasheq, complaintes face à la disparition de la culture touareg, jusqu’aux critiques envers le colonialisme et la complaisance de certains gouvernements africains avec « l’envahisseur » sur le titre éponyme de l’album.
Sans surprise, la France est une cible des incriminations portées, le pays étant vu comme l’un des acteurs majeurs de l’instabilité du coin, Niger et voisin malien, notamment du dernier coup d’état en date, l’an passé, empêchant par exemple les membre du groupe de retourner dans leur pays natal. Le titre évocateur Oh France ne laisse guère place à l’imagination sur sa tonalité. Et de préciser: « Je ne hais ni la France, ni les Français. Je ne hais pas les Américains non plus mais je ne peux plus supporter leur politique extérieure de manipulation, ce qu’ils ont fait à l’Afrique. Aujourd’hui, nous voulons être libres, nous avons besoin de retrouver le sourire ».
Et s’il est difficile d’imaginer à court terme des raisons de le retrouver, le pays étant toujours pris en étau entre les entités terroristes Boko Haram, l’état Islamique et Al-Qaïda, mais également en otage par ses clivages politiques, Funeral for Justice reste néanmoins un manifeste solaire, porteur d’un message fort. Une bouffée d’air frais absolument vitale. Nécessaire.
Alexandre De Freitas