A partir du modèle idéal que constitue Un jour sans fin, souvent imité, jamais égalé, Takebayashi prend avec son Comme un lundi le risque de quitter le domaine de la comédie pour aller vers une réflexion sur le sens de la vie, particulièrement au travail.
Il n’est pas certain qu’à sa sortie la critique négligente de l’époque ait bien perçu l’importance de The Groundhog Day (Un Jour sans fin), la géniale comédie de Harold Ramis : elle s’est pourtant imposée au fil des décennies comme un marqueur fondamental de l’imaginaire fantastique, comique qui plus est. Et a depuis été souvent imitée, ou a tout moins servi d’inspiration à de nombreux films de toutes les nationalités…
Comme un lundi, datant de 2022, est une nouvelle déclinaison japonaise du concept de la boucle temporelle dont les victimes doivent trouver la manière de s’extraire. Rien de nouveau sous le soleil ? Si, parce que Ryo Takebayashi a la volonté d’en faire autre chose, et d’utiliser la métaphore de la répétition, de l’entraînement, pour en faire cette fois non pas un conte moral (très US) sur l’accès à la vérité de soi, démarche salvatrice, mais une satire de l’aliénation au travail.
Car Yoshikawa, Sakino, et leurs collègues d’une agence de Marketing tokyoïde, sont piégés dans une boucle temporelle d’une semaine complète : une semaine harassante, durant laquelle, sans pouvoir rentrer chez eux, ils doivent se tuer au travail pour respecter les délais de livraison impossibles que leur imposent leurs clients (et leur patron, quant à lui, très relax). L’une des pires semaines de leur vie, qu’ils sont condamnés à revivre encore et encore, jusqu’à trouver la manière de s’en évader. Mais là où le scénario de Ryo Takebayashi et Saeri Natsuo est malin, c’est qu’il part du postulat, apparemment absurde, mais au potentiel symbolique fort, que les « prisonniers » ne se rendent pas compte d’abord de la répétition, tant leur vie professionnelle est de toute manière l’éternel retour des mêmes réflexions, gestes et décisions… vides de sens ! Pas de « I Got You Babe » au réveil, et de « Jour de la Marmotte » éternellement re-vécu pour pointer l’enfer de la répétition : à la place, un pigeon qui s’écrase sur une vitre, une panne d’électricité, micro-événements qui, en eux-mêmes, n’ont rien d’exceptionnel, et passent à première vue inaperçus. D’où une première partie, très drôle, où le « jeu » consiste à faire prendre conscience à ses collègues de la prison dans laquelle ils sont enfermés.
Par la grâce d’une mise en scène fluide, et d’un rythme accéléré, le spectateur se trouve lui-même entraîné dans un sentiment d’hébétude, de vacuité et de douce folie. Pour tout dire, de résignation. Et c’est sans doute là que réside l’aspect quasiment « politique » d’un film dont le sujet n’est rien d’autre que la déshumanisation extrême du travail. Pas si loin de celle que vivait Charlot dans les Temps Modernes, tournant éternellement le même boulon avec les mêmes gestes, à une vitesse folle.
La seconde partie du film, une fois évacuées les balivernes fantastiques habituelles (un bracelet soi-disant magique), s’intéresse alors au moyen de sortir de cette vie sans espoir. Ce que nous dit Comme un lundi, c’est que la solution n’est pas d’essayer de devenir meilleur dans son travail par la répétition acharnée des mêmes « techniques », ou même par l’apprentissage de nouvelles, et d’espérer la promotion ou l’emploi mieux rémunéré qui nous récompenseront. C’est de suivre nos rêves artistiques, et de nous libérer par la création : comme on est au Japon, c’est la création d’un manga – à la plume et à l’encre, pas par des outils informatiques – qui va enfin fédérer et accomplir l’équipe, et leur faire accepter qu’il ne sert à rien de se dire qu’on a loupé quelque chose, et qu’on aimerait revenir en arrière pour le refaire, mieux cette fois : « l’offre du renard », au centre du manga, est un piège. Qui plus est, dans Comme un lundi, le but de la création artistique n’est pas le succès (professionnel, commercial), mais bel et bien la satisfaction profonde tirée de l’expression de nos doutes, nos interrogations existentielles.
Voici là un propos qui n’est pas dépourvu d’une certaine naïveté idéaliste, mais qui fait du bien dans une comédie burlesque et moderne. Et qui, in fine, confirme l’intéressante singularité de Comme un lundi.
Eric Debarnot