Enquête sur André Chaix, un jeune résistant drômois abattu par les soldats allemands, Le nom sur le mur est pour Hervé Le Tellier l’occasion d’une réflexion sur l’Histoire en même temps qu’un retour sur son propre passé.
C’est en se cherchant une « maison natale » près de Dieulefit qu’Hervé Le Tellier a appris l’existence d’André Chaix. Ce simple nom lu sur un mur, « tracé à la pointe dans le crépi grège », l’incitera à partir sur les traces de ce résistant de 20 ans abattu à Grignan par les chars allemands peu avant la fin de la guerre. De ce livre, Le nom sur le mur, il fera le tombeau d’André Chaix, une manière aussi de célébrer le centenaire de sa naissance, le 23 mai 1924. « J’espère ne pas avoir cambriolé ta mémoire » dit à André Hervé le Tellier au terme de son livre. C’est avec obstination qu’il mène l’enquête, aux Archives de la Drôme, auprès des descendants d’André, de ceux des villageois de Montjoux qui ont pu le connaître, des associations d’anciens combattants. Mais aussi avec une infinie délicatesse qu’il reconstitue la courte vie de ce jeune homme, semblable à bien d’autres sans doute, qui avait choisi de défendre sa patrie et l’a payé de sa vie. Et avec une infinie tendresse qu’il nous le montre : André debout sur un cheval, André avec son frère, André enlaçant tendrement sa fiancée… André et son irrésistible sourire, que ces photographies rendent terriblement vivant, tout comme ces phrases écrites de sa main dans une lettre à ses parents ou au dos d’un cliché offert à sa Simone follement aimée. Le respect et l’émotion ont accompagné les découvertes successives qui sont venues enrichir le portrait d’André Chaix, avec pour point d’orgue, cette boite aux souvenirs, « poussières de vie », que l’auteur se voit confier, telle une châsse, avec ses précieuses reliques. Ils ont aussi aussi accompagné l’écriture d’Hervé Le Tellier, vibrante, tout en retenue, en simplicité et en pudeur.
« Sans ce nom gravé sur un mur, je n’aurais jamais su explorer cette époque où la générosité et le courage ont côtoyé comme rarement l’égoïsme et l’abject. » Fil à plomb du livre, André Chaix a ouvert la réflexion de l’auteur sur l’Histoire et sur la complexité des êtres et des contextes. Convoquant des expériences telles que celle de Milgram qui a inspiré à Alvin Toffler La troisième vague, ou des essais tels que celui de Christopher Browning, Des hommes ordinaires, il fait le constat terrifié de ce dont chacun est capable, prompt à devenir le bourreau de son prochain, n’hésitant pas à torturer ou à tuer si la responsabilité de ses actes est endossée par une autorité supérieure. Il l’affirme : « Ces hommes n’étaient pas des psychopathes, des monstres, mais des ‘hommes ordinaires’.” Et il ne cache pas sa colère de voir que dès 1953, suite à la loi d’amnistie, les assassins de Tulle, de Figeac, d’Oradour-sur-Glane sont tous libres. Mais le passé nous ramène inlassablement au présent. La vie d’André Chaix est l’occasion pour l’auteur de nous rappeler la réalité du fascisme, de le faire connaître dans toute son horreur aux jeunes générations, à une époque où la menace de l’extrême-droite est plus présente que jamais , où l’anti-sémitisme s’affiche au grand jour, où les démocraties semblent de plus en plus vulnérables : « A regarder le monde tel qu’il va, je ne doute pas qu’il faille toujours parler de l’Occupation, de la collaboration et du fascisme, du racisme et du rejet de l’autre jusqu’à la destruction. »
En racontant l’histoire d’André Chaix, c’est aussi la sienne propre que revisite Hervé Le Tellier. Bien moins tragique, certes, mais traversée par des similitudes troublantes. Sans doute en premier lieu, retrouve-t-il dans l’engagement absolu du jeune résistant l’idéal du militant trotskyste qu’il était à son âge. Sans doute la mort d’André le ramène-t-elle à Piette, son amoureuse, qui s’est donné la mort en 1977. Comme André, Piette aura toujours vingt ans… Le maquisard sera aussi pour Hervé Le Tellier l’occasion de retrouvailles avec sa famille littéraire – avec Pierre-Henri Roché, l’auteur méconnu de Jules et Jim, qui vécut à Dieulefit où il abrita, pendant la guerre nombre d’intellectuels et d’artistes – et pourquoi ne pas imaginer que l’écrivain et le jeune résistant aient pu se rencontrer ? Il sera aussi l’occasion pour lui de se créer un autre type de famille : cette « maison natale » qu’il recherchait était une « maison de famille », « vieille » et « solide », qui lui donnerait les racines qu’il n’a jamais eues, lui, « l’orphelin volontaire malgré lui ». À Montjoux, il a trouvé sa maison et André Chaix lui a apporté un peu de la famille qu’il tentait de s’inventer. Même s’il s’interdit de le considérer comme son « frère », il n’en dit pas moins « sourire avec fraternité face à son nom sur le mur ». Mais sans doute l’écriture de ce livre répond-elle à une nécessité encore plus intime. Hervé Le Tellier le dit ouvertement : Le nom sur le mur est une façon pour lui d’apprivoiser sa propre mort, de « donner un sens à une vie qui n’en a pas. « .
Anne Randon