Largement surévalué à sa sortie par une critique et des fans ravis par le retour de Bowie après 10 ans de silence, et surtout beaucoup trop long, The Next Day nous fut présenté comme l’album d’un sexagénaire faisant le deuil de sa jeunesse, alors qu’il assemblait surtout des styles déjà entendus au cours des années 90.
Black Out total pour Bowie, reclus depuis 2004… Pendant que des vedettes de pacotille exhibent ad nauseam leurs péripéties naines et vaines en quête du fameux quart d’heure warholien, la star s’efface dans un silence énigmatique. Lundi 8 janvier 2013, le jour de son 66ème anniversaire… Stupeur et tremblements… Bowie émerge de cet état fantomatique avec le single Where Are We Now ? Un clip déroutant, un chant à la mélancolie profonde et une évocation des belles années berlinoises mettent aussitôt les fans en transe. Le prochain disque est prévu pour mars et devient alors un véritable objet de fantasmes. Et pourtant….
Alors que les rumeurs bruissent depuis dix ans sur de graves problèmes de santé, Bowie refait surface et balance The Next Day en mode “coucou me revoilou” ! Un coup de marketing fort bien joué depuis le studio Magic Shop de New York, avec une clause de non divulgation imposée aux membres du groupe – Zachary Alford, Sterling Campbell, Gail Ann Dorsey, Gerry Leonard, Earl Slick en particulier – et au producteur Tony Visconti. « Heroes” est victime au passage d’un mauvais sort sur la pochette, et c’est bien dommage : un carré blanc masque l’iconique photographie de Sukita, dont le titre est désormais barré… Reniement des années fastes et rappel frustrant à la réalité d’un sexagénaire qui nous demande de faire le deuil de sa jeunesse flamboyante (« Ce que l’album dit à propos de quelqu’un qui regarde son âge » selon Jonathan Barnbrook, créateur de la pochette) ? Qu’il en soit ainsi, puisque Bowie nous prie désormais de passer au « jour d’après » et peut-être de le lâcher une bonne fois pour toutes avec sa mythologie esthétique. Au passage, soulignons l’artwork, véritable torture pour celui qui tente de lire le texte… en vain…
Comme souvent, envers un Bowie qui jouit toujours de son aura d’icône des seventies, l’indulgence est de mise pour ses œuvres mineures. La presse et les fans se croient obligés de tresser des louanges à ce disque inattendu, mais il faut bien admettre que The Next Day surprend surtout par son éclectisme baladeur et par le caractère dispensable de certaines chansons. Loin d’être aussi mauvais que sa production des années 80, The Next Day n’est pas pour autant un incontournable de la discographie de Bowie : il sonne en fait proche de Reality. La joie inespérée de voir revenir le Thin White Duke masque clairement la réalité d’un disque très inégal, en mode montagnes russes, avec une extrême diversité des titres, certains à la fois appréciés ou détestés selon les goûts de chacun. Sans réelle mise en danger, ayant trop joué avec le feu et commençant à en payer le prix, Bowie se montre désormais très cool… à la grande surprise de Visconti qui ne reconnait plus le forcené du studio de sa jeunesse, capable de passer des jours et des nuits pour une chanson, quitte à se ruiner la santé (… en abusant parfois de la coke…). Bien loin d’être un malade imaginaire (on le découvrira vite…), Bowie a l’intention de revenir nous enchanter sans pour autant se mettre en péril.
Ainsi The Next Day ainsi que le disque bonus sorti en novembre offrent plus d’une vingtaine de titres servis par des textes à la tonalité plutôt sombre, avec un son rock et nerveux ainsi qu’un chant très varié, Bowie s’amusant beaucoup à jouer sur tous les registres, ce qui est l’une de ses marques de fabrique. The Next Day entre en force – « Here I am, not quite dying! » – avant un Dirty Boys très saccadé entre saxophone et guitare, mais un peu bridé. L’album décolle enfin avec Stars (Are Out Tonight) sur une mélodie entrainante, sans compter un clip troublant interprété avec son amie et double androgyne Tilda Swinton. Ensuite, Love is Lost cogne bien à la batterie et au chant : ce bon titre faillit d’ailleurs donner son nom à l’album. Where Are We Now ? s’impose comme l’un de sommets de l’album, avec une sacrée mélancolie, soit un registre dans lequel Bowie se montre toujours très expressif. Valentine’s Days chante les massacres de masse aux USA de manière grinçante et désenchantée.
Puis l’album déroule plusieurs chansons qui lassent rapidement et peinent véritablement à marquer les esprits (How Does The Grass Grow ? avec des choeurs très agaçants, ou le nasillard Dancing Out In Space), tandis que d’autres surchargent le disque, à l’exemple du lourdingue Set The World On Fire, une sorte d’Allumez le feu à la Johnny, une chanson pour les stades… c’est dire le niveau ! If You Can See Me ressemble furieusement au titre I Take A Trip On Gemini Spaceship de Heathen. Au cœur de l’album surgit quand même Boss of Me, avec un chant caressant et puissant, très accrocheur sur le saxophone de Steve Elson… You Feel So Lonely You Could Die est également très plaisant vocalement, avec une référence à Five Years en touche finale… Inspiré par The Electrician de Scott Walker, véritable ombre portée sur le répertoire de David, le planant Heat a quelque chose de funèbre, d’angoissé et de très beau, pour clore l’album en grande classe.
Pour ce retour inespéré, Bowie offrit aussi huit bonus dans une version augmentée, ainsi que des titres sur un Extended Play (The Next Day Extra) à la fin de l’année. Atomica, God Bless The Girl et I’ll Take You There claquent bien et auraient aimablement remplacé le ventre mou de la tracklist originelle, avec plus de consistance. Deux remixes sont aussi bien venus, dont un très beau Love is Lost avec des apparitions de Ashes To Ashes… et I’d Rather Be High avec un clavecin très précieux.
Malgré la production Visconti, une impression de banalité se dégage quelquefois, le fan attendant plus d’éclat après DIX ANNEES DE SILENCE de la part de Bowie, monstre sacré des seventies, désormais chanteur normal… Sans compter la flopée de chansons trop nombreuses à l’écoute : un disque plus ramassé sur les meilleures compositions aurait signé un come back plus magistral.
Ainsi donc Bowie revint sur la piste pour un album très ambivalent qui suscita autant de plaisir que de frustration, d’attente que de déception.
Amaury de Lauzanne
Ahhh mais moi je l’aime bien, cet album ^^ Je suis d’accord sur le côté pot-pourri de périodes et les titres superflus (Dancing Out In Space, You Will Set The World on Fire et If You Can See Me, effectivement) que les bonus de l’édition double auraient facilement pu remplacer (je préfère aussi I’d Rather Be High avec le clavecin). Ceci étant dit, les points positifs de l’album me plaisent vraiment et beaucoup de titres m’ont durablement conquis (Boss of Me, Stars Are Out Tonight, Valentine’s Day, Love Is Lost, Where Are We Now?, Dirty Boys, You Feel So Lonely You Could Die, et j’aime même How Does the Grass Grow, tiens !).
J’apprécie beaucoup la production rêche de Visconti, qui patine les chansons pour en tirer quelque chose de très naturel. Dix ans plus tard, je trouve que l’esthétique sonore du projet vieillit bien, car peu. Je me rappelle avoir eu le même ressenti quand Faith No More avaient sorti Sol Invictus, qui reposait sur des sons très concrets (beaucoup de piano, là aussi). Il faut de la personnalité pour transcender un peu tout ça, mais c’est une approche souvent payante par la restreinte qu’elle convoque.
J’adore le chant de David sur Boss Of Me quand il se donne à fond. Et le saxophone et la batterie assurent bien sur ce coup.