Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre une voix comme celle de l’Australienne Grace Cummings ! Ramona, son troisième album, la met en scène avec un faste qui impressionne mais peut rebuter, et révèle ce qui pourrait être une future star.
Vous ne connaissez pas Grace Cummings ? Rassurez-vous, il y a quelques jours, nous non plus ! Mais il suffit de jeter, un peu par hasard, l’oreille sur les premières minutes de Something Going ‘Round, le premier titre du troisième album, Ramona, de la chanteuse de Melbourne, pour rester littéralement ébloui. Un morceau lourdement orchestré (ce qui pourrait, ailleurs, être rédhibitoire) qui semble parfaitement pertinent pour porter la voix littéralement sublime de Grace Cummings. Et ce qui stupéfait ensuite, est que chacun des onze titres qui composent les 44 minutes de l’album la voit déployer des prodiges d’émotion et d’intensité, pareillement mis en scène de manière grandiose : amoureux de la discrétion et de la retenue, des sentiments ténus distillés avec mesure, passez votre chemin. Mais si votre came, c’est, disons, Nick Cave, Nina Simone, Rufus Wainwright ou Weyes Blood, entrez : vous êtes chez vous !
On peut se rendre compte que le débat fait rage, déjà, entre les fans de la nouvelle « grande dame » et ses détracteurs : entre « elle en fait vraiment trop ! » (l’avis de Pitchfork, par exemple) et « ce disque est un chef d’œuvre » (l’avis, quand même, d’une majorité…), il y a de l’espace pour que vous trouviez votre propre position. Car, pour rester objectif alors que les superlatifs se bousculent dans notre tête, il est indéniable que l’écoute d’un seul trait des onze chansons de Ramona peut s’avérer fatigante. Mais chacune d’entre elle peut-être savourée indépendamment comme un court-métrage débordant de beauté et d’émotion…
Il faut préciser que c’est le musicien américain Jonathan Wilson, emblème d’une certaine scène de L.A., qui a encouragé Grace Cummings à lâcher la bride à ses penchants pour les excès émotionnels, et qui a enregistré et produit Ramona dans ses studios de Laurel Canyon. Et c’est donc lui qui est pleinement responsable de cette orchestration somptueuse, qui distingue Ramona des précédents albums de la diva de Melbourne. Grace Cummings s’inscrit toutefois clairement, d’elle-même, dans une tradition musicale qui remonte à des décennies de folk, de rock, de « torch songs » aussi. Elle ne craint pas de citer ses sources d’inspiration, directement ou indirectement : Dylan (qui lui a donné l’idée de la chanson Ramona) en premier lieu, Nancy Sinatra évidemment, Joni Mitchell, Nick Cave, et pas mal d’autres GRANDS dont le spectre traverse subrepticement les chansons. On a connu pire comme mentors. Et puis, finalement, de la même manière que la plupart des groupes actuels s’inscrivent dans la perpétuation de styles existants, pourquoi reprocher à Grace Cummings de ne pas ignorer un passé aussi riche ?
On and On, l’un des singles, sonne presque années 80 (Eurythmics, quelque part ?), et prouve d’emblée que la production de l’album ne cherche pas de cohérence sonore ou stylistique, mais va habiller chaque morceau de l’orchestration la plus appropriée, la plus efficace. I’m Getting Married to The War adopte une sensualité sombre, un rythme mesuré mais très swinguant, avant de s’enflammer finalement dans une étrange évocation psychédélique très sixties. Love And The Canyon est au contraire une ballade romantique des plus classiques, qui se distingue surtout par la force émotionnelle du chant. Work Today (And Tomorrow), avec ses cordes classiques mais assez envahissantes, nous renvoie au genre de chansons que Frank Sinatra déversait à son époque sur un public qui n’avait certainement pas demandé autant de pompe : c’est le genre d’exemples dans Ramona qui confirment que l’on peut certainement aller trop loin dans l’emphase, d’autant qu’il souffre d’une drôle de conclusion, assez maladroite.
Everybody’s Somebody atteint ensuite une sorte de paroxysme démentiel, trempant une soul torride dans un bain Stax brûlant. Common Man est un autre single, qui fait plus qu’évoquer le Wicked Game de Chris Isaak, mais s’en différencie par un final soul, littéralement torride. La douceur romantique de Without You agit comme un baume après autant de brûlures. A Precious Thing est la plus belle chanson de l’album, et elle est cachée en avant-dernière position, là où la plupart des artistes mettent d’habitude leurs titres « de remplissage » : magnifiquement cinématographique, la chanson confirme la classe infinie de la chanteuse. La conclusion de Help Is On Its Way résume parfaitement ce qu’est Grace Cummings : si la chanson, sur une orchestration pour une fois minimale, semble prôner et promettre l’apaisement, sa voix ne peut s’empêcher de gronder et de menacer. « Your guitar, it weeps a naive melody / And if you see her, say hello / Pick up your heart of gold » (Ta guitare, elle pleure une mélodie naïve / Et si tu la vois, dis-lui bonjour / Ramasse cœur en or).
On peut aussi se dire que Grace Cummings, combinant nostalgie d’un passé musical et image sophistiquée de la beauté féminine, a le potentiel de devenir une sorte de Lana Del Rey pour les amateurs d’un certain classicisme formel. Oui, à l’écoute de Ramona, on se dit qu’elle pourrait, grâce à cette voix inouïe qu’elle a, atteindre une reconnaissance globale auprès d’un public moins teenage, moins moderne aussi.
Il faudra quand même voir ce qu’elle est capable de transmettre émotionnellement sur scène, une fois dépouillée de la mise en scène grandiose de l’album : pour les Parisiens, l’occasion se présentera le 7 juin prochain à la Boule Noire…
Eric Debarnot
« Vous ne connaissez pas Grace Cummings ? Rassurez-vous, il y a quelques jours, nous non plus ! »
Alors, alors, je ne saurais trop vous conseiller l’écoute également de son précédent opus, Storm Queen, sorti en 2022, ne serait-ce que l’excellent titre d’ouverture, Heaven. Et profitez-en bien en live, veinards de Parisiens…
Merci pour le conseil ! J’étais en effet en retard sur ce coup-là !