Ne bénéficiant malheureusement que de peu de visibilité, Jewly continue avec son nouvel album, Rebellion, à défendre un rock musclé et engagé, dans la grande tradition des années 70 : une musique dont la France de 2024 a bien besoin…
« Citoyen, politique, entreprise, au fond de l’asile / Qui supervise la nonchalance et la haine, acides, invasives ? » (Rébellion)
Il est désormais difficile d’imaginer une époque où la contestation sociale et le discours politique étaient des composants essentiels du Rock, tant aujourd’hui ce qui reste de cette musique se concentre, au mieux, sur des démarches purement « artistiques » (quoi que ce soit que signifie l’Art quand il est divorcé de la Société), ou, dans la plupart des cas, sur des considérations individuelles, personnelles (mes histoires de cœur, mes histoires de sexe, mes troubles psychologiques, mes doutes existentiels, mes crises identitaires, etc. – MOI, MOI, MOI et encore MOI !). Aujourd’hui, ce rôle de « poil à gratter » (au minimum) ou de porteur de changement (au mieux, même si tout le monde ne peut évidemment pas être Bob Dylan ou Bob Marley), dans une société qui transforme tout en marchandise, semble être quasiment totalement annexé par le Rap… Ce qui fait certes sens, étant donné l’origine sociale de bien des rappeurs, mais restreint néanmoins le discours porté à un certain nombre de thématiques.
Cette longue introduction pour dire que l’existence d’une chanteuse, humainement et politiquement « engagée » comme Jewly, même si elle peine à être entendue, vaut la peine n’être soulignée. Après Toxic, son précédent album datant de 2020 (Quatre ans déjà !), qui partait de son expérience personnelle pour construire un portrait lucide – et socialement pertinent – de la Femme contemporaine, Jewly nous revient avec un disque encore plus franchement « engagé » : bien entendu, sans doute car la méfiance envers les politiques est aujourd’hui prépondérante, il ne s’agit pas dans le bien-nommé Rebellion d’encourager à voter pour un parti ou contre un autre (comme c’était encore le cas en Grande-Bretagne quand les rockeurs prirent les armes – les guitares et les micros – contre Thatcher ou plus tard contre le National Front). Il s’agit de prôner une lucidité accrue dans un monde de plus en plus asphyxiant, et la résistance individuelle contre des « systèmes » économiques et technologiques totalitaires. Et puis, comme toujours chez Jewly (c’était déjà le cas dans l’album précédent), c’est la question de la santé mentale qui est au cœur du sujet : la résistance n’est possible qu’en passant par l’atteinte d’un véritable équilibre émotionnel et psychologique, que la société met de plus en plus en danger.
Les titres des 10 chansons de Rebellion annoncent ce qui est au menu : Resistance, Construction, Innocence, Injustice… Jewly alterne les textes en français et en anglais, en fonction de la « musicalité » différente des deux langues, mais aussi par choix « conceptuel » : l’anglais est utilisé pour privilégier un point de vue « adulte » apporté par certaines chansons, tandis que le français est la langue de « la jeunesse » dans d’autres… Dans tous les cas, Jewly privilégie des paroles complexes plutôt que des slogans réducteurs il ne s’agit pas seulement d’appeler à la révolte, mais d’abord de faire réfléchir. De mettre en avant une pensée « complexe » (pour emprunter les mots du Pouvoir) plutôt que de promouvoir une simplification réductrice de opinions, comme celles qui prolifèrent sur les réseaux sociaux. Au prix, quelques fois, de tournures trop ampoulées (« C’est qui l’imbécile ? / Hypothèse d’une confusion bien trop subtile / Un soldat qui écrase ses propres pas et tiraille / Ou celui qui suit, se sacrifie sur le champ de bataille« , au hasard…), qui mériteraient d’être clarifiées…
Musicalement, comme pour l’album précédent, on est dans un Rock classique, plutôt ancré dans les seventies (Jewly raconte avoir été initialement inspirée par Janis Joplin, mais on retrouve chez elle quelque chose de la PJ Harvey rockeuse des débuts) : riffs de guitare agressifs, rythmique qui pulse, montées en intensité pour faire culminer la rage ou l’excitation, etc. Pas de recherche superfétatoire d’originalité, mais plutôt l’utilisation optimale des armes et des codes d’un Rock éternel, sur lequel poser un chant fier et rebelle. Car la voix de Jewly est belle, trouvant régulièrement des intonations « soul » qui enrichissent les chansons (comme sur la belle conclusion de Injustice). Les titres forts qui se dégagent dès les premières écoutes sont le très efficace Alter Ego (propulsé par une basse envoûtante, et avec un refrain scandé du plus bel effet), le plus complexe Construction ou encore le rapide et heavy Imbécile. Mais l’album offre surtout une véritable cohérence qui en rend l’écoute d’un seul trait indispensable.
« Injustice! I’m a victim who can break the cycle » (Injustice ! Je suis une victime qui peut briser le cycle) (Injustice)
Eric Debarnot
Jewly – Rebellion
Label : ROCK’n’CHAIR
Date de publication : 26 avril 2024
Jewly sera en concert le 06 Juin à la Dame De Canton (Paris)