On attendait avec beaucoup d’impatience ce premier concert des Cinelli Brothers, l’un des groupes dont on parle le plus au sein de la scène Blues contemporaine. Dans le cadre du Jazz Club Etoile, ils ont sans doute trop bridé leur énergie pour convaincre totalement. Ce n’est que partie remise…
The Cinelli Brothers ! Un groupe de blues qui existe depuis maintenant huit ans, et qui récolte de nombreuses récompenses (la dernière étant le Blues Award du meilleur groupe dans le genre au Royaume-Uni), sans parler même des éloges, et qui n’a toujours pas de label pour publier ses disques : leur dernier album, le quatrième si l’on compte bien, a une fois encore été publié à leur compte ! Un groupe qui donne ce soir, après huit ans d’existence, son premier concert à Paris ! Un groupe qui rame, donc, et qui aurait donc bien des raisons de l’avoir, ce fameux Blues… Et ce d’autant qu’il faut bien admettre que la configuration du Jazz Club Etoile, avec son public à table en train de dîner, n’est pas la plus favorable qui soit pour faire monter la frénésie et l’intensité qu’on attend de ce genre de concert… Mais bon, au moins, le public s’est présenté plutôt « en masse », preuve que les choses bougent en France pour Marco et Alessandro, les deux frères Cinelli, et leurs complices, Tom et Stephen.
20h40 : On est partis pour deux sets d’une heure environ, avec le traditionnel (en ce lieu) entracte de trente minutes entre les deux… Encore une organisation qui ne favorise pas l’implication du public. Le démarrage est curieux, puisqu’on attaque avec The Very Thing That Makes You Rich (Makes Me Poor), une chanson de Ry Cooper : est-ce une manière de se positionner au sein d’une certaine histoire du Blues joué par des Blancs ? La reconnaissance d’une lignée de talents à laquelle ils prêtent allégeance et qu’ils souhaitent perpétuer ?
Marco Cinelli est à l’orgue, assez discret pour l’instant, Tom Julian-Jones au chant et à la guitare, et le son est correct, même si, dans cette salle, il vaut mieux être plutôt placé au centre pour bénéficier d’un bon équilibre des instruments dans la balance. Le set démarre assez « prudemment », jusqu’à ce que Making It Through The Night et Ain’t Blue But I Sigh marquent une montée en puissance, avec en particulier Marco qui prend le lead.
On réalise alors que 1) mis à part Tom (dont les autres se moquent gentiment d’ailleurs), tout le monde parle très bien français sur scène, et 2) plus important, que les musiciens sont tous versatiles. Tous les quatre chantent, et bien, chacun dans un registre différent, ce qui offre une belle palette de styles au groupe. Et tous les quatre sont multi-instrumentistes : sur le très émouvant Last Cigarette (avec un joli travail vocal de Marco…), Alessandro et Stephen échangent même leurs places entre basse et batterie (ce qui vaut d’ailleurs une plaisanterie taquine de Marco sur son frère, argumentant que « la batterie, ce n’est pas vraiment un instrument »…).
On en arrive à une reprise roborative de It’s a Man’s Man’s Man’s World, sur laquelle ils sont rejoints par Haylen, assez stupéfiante vocalement, mais également grâce à une grosse présence scénique. Prayer puis No Place for Me referment le premier set au bout d’une heure. Quand on fait le bilan à mi-course, on doit bien reconnaître que, si le groupe est techniquement magistral, il a manqué jusque-là cette petite flamme qui transforme de l’excellente musique en une grosse performance scénique.
Après une pause bien trop longue (une demi-heure, ça casse vraiment l’ambiance !), le groupe revient sur un mode hyper funky, avec l’ouverture de leur album, Last Throw of the Dice : pédale wah wah, harmonica déchaîné et surtout un solo de guitare enflammé de la part de Stephen Giry, qui s’impose pour le coup comme le guitariste le plus impressionnant du groupe
Malheureusement les chansons suivantes vont calmer le jeu, alors qu’on attendait que The Cinelli Brothers passent à la vitesse supérieure. Une erreur dans la construction de la setlist ? Toujours est-il que Dozen Roses, qu’on aime beaucoup sur disque, semble ici bien trop sage. Lucky Star, une chanson soul qui monte crescendo pour aller retrouver un groove stonien, ne décolle pas comme on aimerait : on voit que sur scène, Marco est à la peine, face à un public qui refuse obstinément de bouger.
Le majestueux Nobody’s Fool offre à Stephen une nouvelle opportunité de nous impressionner avec sa guitare, et il ne la loupe pas : sans doute le plus beau moment de la soirée ! Pour le dernier quart d’heure du set, le groupe essaie en vain de faire danser la salle, mais c’est bien difficile.
« En rappel » (même si les musiciens ne sortent pas de scène), Choo Ma Gum est un boogie nerveux et au tempo plus rapide, et tout le monde se lève enfin, même s’il a fallu un quasi-chantage de la part de Marco pour en arriver là. Alessandro fait son solo de batterie (un moment toujours un peu trop long…) et on clôt la soirée avec un Mama Don’t Like You plus agressif.
Ce que The Cinelli Brothers ont prouvé lors de ce premier concert parisien, c’est leur talent musical, ainsi que la classe folle de leur approche, qui leur permet d’actualiser sans les trahir les standards du Blues. Là où ils ont malheureusement échoué, c’est à transcender les attentes d’un public un peu trop confortablement installé dans une écoute attentive, experte peut-être, du Blues, aggravée par la configuration du Jazz Club Etoile. Il faudra donc les revoir dans des conditions plus « normales », pour tester leur capacité à en découdre réellement sur scène.
Texte et photos : Eric Debarnot