Drôle d’objet en constant décalage avec les attentes du téléspectateur, Bodkin louvoie assez maladroitement entre polar, comédie grinçante et critique des travers contemporains, passionne parfois, ennuie ensuite, et finit par nous perdre. Dommage…
Imaginez l’un des héros new-yorkais de Only Murders In The Building débarquant à Bodkin, une petite ville isolée sur la côte sud irlandaise, pour réaliser un nouvel épisode d’un podcast à succès (aux USA…) à propos d’une triple disparition mystérieuse lors de la dernière édition d’un festival : le choc culturel face à des rituels locaux pittoresques, mais aussi vaguement inquiétants – largement à base d’ingestion de bière au pub et de superstitions populaires immémoriales – est total, et la bonne volonté et l’optimisme américain seront soumis à rude épreuve, en particulier du fait du mutisme des habitants peu enclins à parler à des étrangers.
C’est le point de départ, sympathique, et franchement dans une veine comique / parodique, de Bodkin, une drôle de série Netflix, que l’on peut regarder – si l’on est d’humeur – comme un divertissement farfelu, construisant une enquête policière complexe – fertile en rebondissements – sur les bases de clichés assez usés (les Irlandais, leur culture et leurs travers) et d’une critique plutôt convenue du voyeurisme contemporain. On grince d’abord un peu des dents devant le (pas si) joyeux foutoir des premiers épisodes : Bodkin entremêle « cosy mystery », plaisanteries lourdingues, tourments psychologiques (le personnage de Dove, la journaliste au comportement insupportable, est de fait lourd, très lourd, et l’interprétation de Siobhán Cullen peu convaincante). La principale « originalité » de la série semble être de composer une galerie de personnages grotesques, comme si Jez Scharv et ses scénaristes avaient eu avant tout le désir de copier le style des Frères Coen et de l’adapter à l’Irlande.
Et puis, peu à peu, même si la série en fait beaucoup trop, accumulant agents du gouvernement infiltrés dans le village, couvent new age, trafic d’animaux à destination de l’Asie, séquelles des années de l’IRA, fermes de serveurs, on en passe et des meilleures, quelque chose se met à fonctionner : est-ce l’énigme policière qui peu à peu nous intéresse ? Ou bien les déséquilibres psychologiques et les traumatismes lourds de quasiment tous les personnages qui finissent par nous fasciner ? On apprécie même les petits jeux sur la temporalité et la narration en boucle du cinquième épisode (Peace in our Time, clairement le meilleur), tout en regrettant cette tentative tardive de rendre la série plus « conceptuelle »…
… Jusqu’à ce que, patatras, le soufflé retombe dans les derniers épisodes, accumulant révélations, rebondissements jusqu’à la dernière minute, mais s’enlisant définitivement entre les scènes maladroites du festival et le gloubi-boulga des relations entre les trois personnages principaux (auxquels on se rend compte qu’on ne se sera pas vraiment intéressé…).
Bodkin se termine donc dans une certaine indifférence de notre part : faute de rythme, de rigueur dans une écriture qui préfère courir plusieurs lièvres à la fois et jouer la carte du foisonnement, et faute sans doute d’un projet cohérent dès le départ.
Eric Debarnot