Plusieurs destins se croisent en 1944 en Bavière dans l’une des nurseries de bons aryens organisées par les nazis. Une histoire écrite au féminin et un roman empreint d’une profonde tristesse autour de ces femmes malmenées par la guerre. Caroline de Mulder est l’auteure belge de « Manger Bambi » et nous revient avec ce titre percutant : La pouponnière d’Himmler.
Le sujet est tristement connu : c’est le Lebensborn (la fontaine de vie en VF), un programme de nurseries initié par Heinrich Himmler dès 1935 pour peupler le nouveau Reich de bons aryens. Une trentaine de pouponnières furent ouvertes dans le cadre de ce programme (en Allemagne et en Norvège notamment) et près de 10.000 enfants y naquirent. Des orphelins y furent également « accueillis ». Le foyer Heim Hochland où se déroule l’essentiel de l’intrigue du livre, fut la première nurserie créée par Himmler à Steinhöring en Bavière, près de Munich, en 1936. Le foyer français de Lamorlaye dans l’Oise, évoqué dans ce livre, a également existé.
Si le sujet n’est pas nouveau et si Caroline de Mulder a choisi de le romancer du point de vue des femmes, elle n’oublie pas pour autant de rappeler soigneusement les faits : son bouquin est très documenté, certains personnages bien réels et les faits terribles suffisent amplement à condamner la violence des hommes. L’auteure a construit son récit sur trois ou quatre points de vue complémentaires, trois ou quatre destins qui se seraient croisés en 1944 au Heim Hochland de Bavière : une jeune française, une infirmière allemande, une mère inconsolable et un prisonnier des camps.
Il y a là, Renée, une française, séduite trop jeune par un beau Waffen-SS dans sa campagne normande et qui, une fois enceinte, a dû fuir les revanchards qui l’ont tondue et la ligne de front qui avançait vers l’est. Helga, la secrétaire allemande, l’assistante du docteur qui dirige cette pouponnière. Marek, un prisonnier de Dachau qui travaille au domaine et qui est obsédé par la faim qui le tenaille depuis des mois. Et l’inconsolable Frau Geertrui qui vient d’accoucher d’un petit Jürgen qui refuse de se nourrir.Quelques destins qui se retrouvent en 1944, en Bavière, dans un foyer, un « Heim », pour ces jeunes mères de petits aryens. Himmler en personne est venu célébrer la maternité de ces mamans au sang pur et leurs beaux bébés blonds.
« […] Grâce à vous, chères mères, qui êtes vom besten Blut, du meilleur sang, et avez su choisir un partenaire de valeur supérieure du point de vue racial, il suffira de quelques générations pour faire disparaître de notre Allemagne toute trace de sang impur. Un siècle tout au plus. Nos Heime sont conçus pour qu’y naissent les plus magnifiques éléments de notre race : vos enfants. Notre religion, c’est notre sang. Aussi, je vous remercie, chères mères. La maternité est la plus noble mission des femmes allemandes. »
« […] — Nous aurons, d’ici trente ans, six régiments de plus grâce aux Lebensborn. Mais nous ne pouvons pas accélérer le temps. — Quelle injustice qu’un soldat meure en un instant et mette seize ans à grandir. »
C’est un roman empreint d’une profonde tristesse, la tristesse de ces femmes aux destins malmenés par la guerre et aux maternités préemptées par le pouvoir nazi. On ne peut même pas le lire d’une seule traite : on a besoin de pauses pour échapper à cette ambiance désespérée et à cette violence sourde. Une violence très institutionnelle.
« […] À la fin quand ils le lui ont pris il ne pesait plus que trois kilos et des poussières. Chaque fois qu’elle soulève un paquet de sucre ou de farine ou n’importe quoi d’autre, elle pense à lui, à ce qu’il pesait dans ses mains et dans ses bras, au ressenti de ce poids-là. Et elle se demande combien il pèse maintenant, que pèse donc ce qu’il reste de lui. Ça l’obsède, elle ne pense qu’à ça et bien sûr elle n’en dit rien à personne. »
Bruno Ménétrier