Un hommage à des héros récemment entrés au Panthéon, qui vient nous rappeler à point nommé une certaine idée de la France, et une très belle idée. L’approche est certes respectueuse, mais souffre peut-être d’un traitement un peu scolaire.
Le 17 février 1944, 23 résistants communistes, en majorité juifs, sont fusillés par les Allemands. Tous figuraient sur l’Affiche rouge, placardée sur tous les murs de France à des fins de propagande visant à soutenir la théorie du « complot judéo-bolchevique » chère aux nazis. Ces héros au cœur pur, qui se sont battus pour libérer la France du joug hitlérien et de la collaboration, recevront les honneurs de la République quatre-vingt ans plus tard, avec l’entrée symbolique au Panthéon de Missak Manouchian et de son épouse Mélinée. Cette bande dessinée vient accompagner cet hommage.
Difficile de masquer un certain embarras à la lecture de Missak, Mélinée & le groupe Manouchian – Les Fusillés de l’Affiche rouge. La couverture, plutôt réussie, était pourtant prometteuse. Simplement, on reste un peu sur sa faim, alors qu’on attendait davantage d’une bande dessinée destinée à célébrer ces héros de la résistance, donnant cette impression lancinante et désagréable que l’on a affaire à un travail de commande.
Tout vient en grande partie d’une narration un peu décousue, quand bien même elle remplit convenablement le cahier des charges en retraçant le parcours de Missak Manouchian et en relatant les faits d’armes de l’homme et de ses 22 camarades, si bien évoqués dans la chanson de Louis Aragon et Léo Ferré, L’Affiche rouge.
Certes, le défi imposé par un tel hommage était immense : non seulement il fallait, dans un format relativement court (143 pages), retracer l’épopée de cette « armée de l’ombre » mais aussi accorder un espace mémoriel équitable à chacun des 23, si bien sûr on excepte Missak et son épouse panthéonisés. Pour ce faire, JD Morvan a choisi de consacrer le premier tiers à la jeunesse de Manouchian jusqu’à son arrivée en France, avec la rencontre de sa chère Mélinée. Jusqu’ici tout va à peu près bien, mais c’est avec l’apparition des autres personnages liés à la Résistance que la confusion s’installe. Dans une chronologie morcelée (et pour tout dire assez fastidieuse), le livre alterne plusieurs récits courts des actions de la Résistance avec les témoignages de Mélinée, des « images d’Epinal » des nombreux attentats commis contre l’envahisseur, ainsi que des portraits pleine page légendés des protagonistes, qui viendront ponctuer les deux cent pages du livre.
Face à cet enchevêtrement narratif, c’est un sentiment de confusion qui domine, et je n’ai moi-même pu éviter de céder à l’ennui durant cette lecture, égaré par la multitude de personnages. Cela est fort regrettable et c’est d’autant plus dommage de la part du co-auteur de l’acclamé Madeleine, résistante. Ainsi, on ne peut s’empêcher de supposer que l’ouvrage a été conçu dans l’urgence, supposition corroborée par ce rectificatif à l’épisode où l’on voit Missak débarquer à Marseille avec son frère, précisant qu’ « une découverte, trop récente pour [l’]album, montre que Garabed serait arrivé en France un an avant Missak ». Même si bien sûr, on saura gré aux auteurs d’avoir ajouté cette mention…
Quant au dessin, il a été confié à Thomas Tcherkezian, un jeune auteur au patronyme explicite et légitimant sa participation au projet, dont c’est ici la première bande dessinée. Une carte de visite de poids pour ce nouveau venu, qui s’acquitte plutôt bien de sa mission en révélant une certaine maîtrise du trait (bien qu’un brin vert), même si on reste dans l’académisme relatif à ce genre d’ouvrage, « lissitude » comprise. D’ailleurs, on peut regretter que celui-ci, soucieux de tout donner pour ce premier projet, ait cru bon de gommer à ce point les aspérités des personnages, en particulier dans les portraits pleine page en question. Loin d’apparaître comme des « métèques » « noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants », la plupart ressemblent à des gravures de mode, y compris Missak dont l’aspect buriné sur sa plus célèbre photo a totalement disparu.
Malgré ces quelques critiques, on admettra toutefois volontiers que l’ouvrage conserve une valeur historique qui ne déshonorera pas ces « grands hommes » dont la République peut s’enorgueillir, a fortiori dans le contexte actuel de montée de l’extrême-droite. Il est toujours bon de le rappeler, comme Joséphine Baker admise au Panthéon quelques mois avant, les Manouchian et ses compagnons d’armes étaient tous d’origine étrangère et n’ont jamais obtenu la nationalité française, mais ils demeurent les aïeux, symboliques ou pas, de tous ceux qui constituent aujourd’hui cette fabuleuse mosaïque faisant peuple qu’est la France.
Laurent Proudhon