« Furiosa : Une saga Mad Max » de George Miller : Les roues de l’infortune

Avec ce spin-off et préquel du cultissime Fury Road, George Miller signe un western initiatique d’excellente facture, où sa mise en scène renouvelle un univers dont la richesse ne cesse d’impressionner. Dans un contexte de franchises Hollywoodiennes puant la mort par tous les orifices, Mad Max demeure une oasis providentielle pour les fans de post-apo sans freins, d’imaginaire débridé et de métal hurlant.

© Warner Bros

Dire que Furiosa était un film attendu au tournant n’est pas qu’un mauvais jeu de mots. Imaginez. Un projet se posant comme suite, préquel et spin-off à Mad Max: Fury Road, le film d’action le plus culte des vingt dernières années, seul long-métrage à véritablement mériter l’étiquette de rapide et furieux. L’idée avait de quoi faire claquer des fesses mais la confiance semblait régner, en grande partie via la présence de George Miller, papa de la franchise et réalisateur dont la virtuosité n’est devenue que plus éclatante avec les années. À l’approche de ses quatre-vingts printemps, l’ancien médecin urgentiste féru des planches de Métal Hurlant n’a plus rien à prouver. Il avait pourtant signé mon film favori de l’année 2022 avec Trois Mille ans à t’attendre, conte romantique dont la poésie narrative n’avait d’égale que la maestria de sa mise en scène. Porté par le duo de Tilda Swinton et Idris Elba, le film avait malheureusement été un plantage au box-office. C’était dommage, mais on supposait qu’un retour à Mad Max pourrait drainer davantage de spectateurs.

Le scénario du film n’est pas une création récente, puisque Miller avait souhaité écrire une histoire complète pour contextualiser Fury Road. Furiosa fut un temps destiné à la forme d’un anime, mais les délais de production réorientèrent le projet vers un film de chair, de sang et de tôle fumante. Ainsi, Dementus, biker mégalo nourri d’ambitions conquérantes à la mode antique, est aussi veule que magnétique, d’une bêtise que le contexte post-apocalyptique rend proprement terrifiante. Dans un monde retourné à l’état sauvage, le virilisme est aussi débridé que les bolides qu’il chevauche. Derrière la caméra, on sent la malice formelle de Miller, qui semble s’amuser du personnage comme de celui de Jack Nicholson dans Les Sorcières d’Eastwick. Chris Hemsworth, le Thor sexy de Marvel, arbore ici un faux-nez crochu, des lentilles de contact et un poil tantôt roussi, tantôt grisonnant. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, l’armoire australienne était quasiment prédestinée à l’univers de Mad Max. L’acteur livre ici sa plus belle performance en date, dans un registre de cabotinage calculé qui sied à une partition de méchant hédoniste et gaspilleur, charmeur et puérile. Hemsworth bouffe la caméra, visiblement ravi de l’opportunité d’incarner une ordure flamboyante qui roule en char romain tiré par des motos, garde un ours en peluche accroché à l’entrejambe, se fringue en messie de rally motorisé et se fait arracher les tétons lors d’une scène bien gore.

 

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C’est d’ailleurs un aspect notable du film par rapport à son prédécesseur. Miller avait tenté, sans succès, de tenir à distance le classement R de Fury Road. Pour Furiosa, il semble avoir renoncé à tout compromis, ne rechignant pas à livrer des visions d’horreur lors des détours les plus brutaux de son scénario. On assiste à un réveil en sursaut dans le cellier d’une boucherie cannibale, à une décapitation groupée et à quelques scènes de tortures cradingues, renforçant les enjeux de survie posés par le film. En revanche, il faut admettre que la bande originale de Tom Holkenborg, alias Junkie XL, se limite à un repos faiblard sur les lauriers de Fury Road, sans effort pour sortir des codes tracés il y a presque dix ans. Ce manque d’inspiration musicale n’est cependant pas à l’image du film, qui ne cherche jamais à répliquer le choc de l’opus précédent, mais trace sa route vers des horizons moins balisés. S’il est possible qu’une partie du public en sorte frustrée, on ne peut que saluer l’initiative de Miller et son équipe, qui ont eu la sagesse de donner sa propre voix à ce projet. C’est un mérite, à défaut d’être une réelle surprise. Mad Max est une franchise dont chaque opus diffère du précédent, quitte à risquer certaines ruptures pour renouveler et pousser plus loin ses histoires.

Parlons de l’excellente performance d’Anya Taylor-Joy. Fan avouée de Fury Road, la jeune actrice s’acquitte de la lourde tâche de succéder à Charlize Theron, dont le charisme taciturne avait contribué à iconiser le personnage de Furiosa. Cette guerrière de la fin des temps, qu’on jurerait sortie de l’imaginaire d’Enki Bilal, justifiait à elle seule une nouveau tour de piste. Durant la première partie du film, le rôle est tenu par la jeune Alyla Browne, dont la présence est aussi solide que celle de ses co-stars plus âgées. Mentionnons tout de même que le rôle totalise encore moins de dialogues que Max en 2015, et qu’il faudra tempérer les attentes créées par Fury Road. La force de Furiosa est de ne pas être frontalement issu du même moule. Sur Trois Mille ans à t’attendre , le médium numérique servait à créer des panoramas irréels, à la hauteur du merveilleux de son récit. Furiosa bénéficie donc du même soin, arborant une teinte onirique que Fury Road n’aurait pas directement pu induire. On peut regretter les sensations brutales du film de 2015, mais ce glissement doit être reçu à l’aune d’un autre projet formel. En sortant Mad Max du pur mouvement vers l’avant, Miller explore le symbolisme de son récit, sans s’astraindre à offrir un Fury Road bis.

Or, le film n’est pas non plus avare en froissement de tôle et de côtes. La course-poursuite du premier chapitre, qui suit la mère de Furiosa dans la traque des ravisseurs de sa fille, est d’une beauté saisissante. Une leçon de brutalité visuelle, avec des cadrages impeccables et une caméra rivée à la profondeur des décors. Chaque travelling marque un espace, révèle une information, fomente l’action à venir. La scène d’attaque de camion répond à Fury Road en format vignette. La fluidité en est impressionnante, alliant verticalité et horizontalité pour capter les personnages au faite de leur sauvagerie de cinéma. Plus rigide formellement, la séquence à Bullet Farm est quand même au-dessus de ce que les blockbusters des dix dernières années ont produit en crispant tous leurs gros muscles. Pour le reste, c’est dans ses scènes les moins bruyantes que le film touche à son identité propre, celle d’un récit de vengeance qui tire le meilleur du western et du conte initiatique. La violence finale est dérobée aux yeux du spectateur pour être refondue en un nouveau récit, un mythe entré dans la mémoire d’un conteur ; à l’issue d’une scène où deux visions d’une histoire livrent un dernier duel via un dialogue. Avant un raccrochage (certes artificiel, et qui pourra donc agacer) aux wagons de Fury Road, Furiosa s’achève sur une châtiment à la symbolique violente, digne des visions les plus fantasques de Trois Mille ans à t’attendre. Malgré le générique composé d’instantanés de Fury Road, l’image qui hante après la séance est celle d’une revanche dont la violence est transcendée par ce qu’elle fera germer, quand bien même un bain de sang moussu ne restitue pas une innocence trucidée.

 

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Interrogé sur l’avenir de Mad Max, Miller affirme que son scénario comprend encore un film consacré à Max (version Tom Hardy, logiquement) durant les événements menant à Fury Road. Dans l’éventualité où le projet se concrétiserait, il offrirait la possibilité de clore ce second cycle par un séquençage dont la course-poursuite de 2015 serait le point d’orgue. Avec un propos revigoré par chaque nouveau film apporté à son canon, la cosmologie Mad Max pourrait donc être une belle singularité dans un paysage de franchises Hollywoodiennes purulentes. Après Fury Road et Trois Mille ans à t’attendre, Miller prouve à nouveau que son approche du récit sous l’angle mythologique peut produire un divertissement qui respecte à la fois son public et son médium. Si ce degré d’amour pour les histoires et cette maîtrise formelle devaient perdurer, nous n’avons qu’un seul désir : Par pitié, George, roule-nous encore dessus !

Mattias Frances

Furiosa: A Mad Max Saga
Film américano-australien de George Miller
Avec : Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Alyla Browne, Tom Burke
Genre : action, aventure, science-fiction post-apocalyptique
Durée : 2h28
Date de sortie : 22 mai 2024