On a déjà largement oublié Vic Chesnutt, 15 ans après sa mort, et Le calme et la fureur est donc un essai nécessaire évoquant la vie torturée de l’un des vrais génies de l’indie folk US, sans doute du même calibre qu’un Elliott Smith dans un registre encore plus douloureux.
On est en novembre 1995, et le Festival des Inrockuptibles nous présente (pour la première fois en France ? Ce serait à confirmer…) un concert de Vic Chesnutt, musicien de folk déglingué et poète américain : c’est le soutien de Michael Stripe (REM arrive alors au sommet de sa popularité) et sa participation au nouvel album de Chesnutt, Is the Actor Happy? qui propulse sous les feux de la rampe (enfin, il ne faut rien exagérer !) cet artiste torturé, déjà brisé par la vie alors qu’il n’a alors que 30 ans. Le concert qu’il nous offre est littéralement tétanisant : à quelques mètres de lui – au premier rang de la Laiterie de Strasbourg – on reçoit en pleine face la douleur littéralement déchirante qu’il exsude dans des chansons à la beauté chaotique et intense.
C’est à ce moment précis que naît en nous un attachement pour cet homme au talent exceptionnel, quasi systématiquement assombri par ses tendances autodestructrices. Ce concert reste à jamais gravé dans nos mémoires, comme une brûlure qui semble ne pas pouvoir guérir. Chesnutt jouera ensuite plusieurs fois en France, jusqu’à un ultime concert en mars 2009 au Café de la Danse, quelques mois avant de réussir enfin à se donner la mort, et, espérons le pour lui, nous qui ne croyons pas en un au-delà, de trouver enfin la paix. Ce suicide réussi, et le passionnant essai de Thierry Jourdain publié aux éditions Playlist Society l’illustre amplement, aura été longuement retardé par l’amour que lui portait sa femme et par l’amitié de nombreux musiciens, célèbres (comme Stipe, mais aussi Kristin Hersh, Jonathan Richman, Kurt Wagner…) ou seulement notables à l’échelle de la scène musicale féconde de la ville d’Athens (Géorgie) où Chesnutt aura passé une bonne partie de son existence.
Ce que nous raconte en détail Vic Chesnutt – le calme et la fureur (pas sûr que ce titre soit très juste, on n’a jamais entendu chez Chesnutt ni l’un, ni l’autre, en fait, juste un amour-haine intense de la vie), c’est la trajectoire de ce musicien confiné dans une chaise roulante par un accident de voiture à la fin de son adolescence, peu à peu détruit par ses abus de drogues et d’alcool, ruiné matériellement par les coûts exorbitants des soins que son état physique réclamait. Mais un musicien toujours capable de faire surgir la BEAUTE en quelques phrases simples sur des mélodies économes, soit en format acoustique, soit s’appuyant sur des déluges d’électricité convoqués par ses amis musiciens, tous volontaires pour accompagner le génie singulier de cet homme à la fois fascinant et difficile. Vic Chesnutt – le calme et la fureur n’est donc pas à proprement parler un essai, comme Playlist Society en publie en général, mais bien une biographie assez classique, qui semble exhaustive, de la vie d’un artiste important.
Pour que tout soi parfait, on aurait apprécié une analyse plus poussée de ses paroles de chansons, au delà des évidences des excès et du désespoir existentiel qui ont caractérisé les 45 années d’une existence trop brève. On aurait également souhaité, car c’est important ici, une traduction plus correcte des extraits cités : cette traduction, sans doute par méconnaissance du contexte culturel, voire peut-être d’expressions colloquiales de la langue anglaise, sont souvent éloignées du sens originel des mots de Chesnutt, et vont parfois friser le contresens. Soit un sujet d’irritation pour un lecteur anglophone, particulièrement s’agissant ici de célébrer un « homme de lettres », comme l’était Vic Chesnutt.
Même s’il n’est pas parfait, on le voit, Vic Chesnutt – le calme et la fureur est un livre important, qui aidera, espérons-le, de nombreux mélomanes à découvrir ou redécouvrir Vic Chesnutt, un artiste resté finalement trop confidentiel si l’on considère son talent et son importance dans le courant indie-folk US, sans doute au même niveau qu’un Elliott Smith, un peu plus reconnu quant à lui.
Eric Debarnot