Bel hommage indirect à Marcello Mastroianni, Marcello Mio évite avec grâce tous les écueils déplaisants du « cinéma de l’entre-soi » et nous touche régulièrement au cœur.
On n’avait pas particulièrement envie de voir Marcello Mio, en dépit de notre amour pour l’immense Marcello Mastroianni, et de notre goût pour la filmographie de Christophe Honoré, tout simplement parce que l’idée de tous ces artistes prestigieux (Chiara M, Deneuve, Luchini, Garcia, Poupaud, Biolay !) jouant leur propre rôle, juste à un moment où le milieu du cinéma est accusé de cacher tous ces abus – sexuels, de pouvoir -, nous faisait craindre un geste d’auto-défense de la part d’une tribu pratiquant l’entre-soi…
Et, de fait, le film n’évite pas une certaine complaisance dans la célébration de l’amour familial et de l’amour tout court, au sein d’une drôle de famille (recomposée) de Cinéma où tout le monde aime tout le monde, en particulier dans une conclusion en happy-end vraiment trop arrangeant. Si l’on compare tout cela à l’auto-dérision sanglante dont fait preuve l’équipe d’acteurs de Deuxième Acte, il est indéniable que nos « votes » iront plutôt à Dupieux. Mais il reste que Christophe Honoré est un réalisateur talentueux (plus que Dupieux, en fait, et c’est sans doute malheureux), car Marcello Mio s’avère rapidement fonctionner sur un enchaînement de scènes littéralement « magiques », qui génèrent une émotion inattendue, parfois saisissante… sans que l’ambiguïté du propos du film ne soit d’ailleurs atténuée : car si Chia avoue ici souffrir de l’héritage cinématographique écrasant de ses deux géniteurs, sa manière de pleurer la disparition précoce d’un père adoré en devenant « son double » génère un joli trouble, finalement plus profond que la Bande Annonce gentillette ne pouvait le laisser attendre. Il y a bien, dans Marcello Mio, l’ombre d’une certaine folie qui plane, et nous empêche de rire franchement, par exemple, aux cabotinages bienveillants de Luchini.
Evidemment, la limite de l’exercice reste que Marcello Mio touchera avant tout les cinéphiles, qui se réjouiront de voir évoqués avec brio et tendresse tant de chefs d’œuvre du cinéma italien (ou français) où le génie de Marcello Mastroianni rayonnait ! La célèbre scène de la Fontaine de Trévi de la Dolce Vita, recréée – pour le filmage d’une publicité – dans l’ouverture, très forte, du film, puis revenant dans la dernière partie, au cours d’un voyage à Rome qui est tout sauf nostalgique et poétique (remarquable satire de la télévision italienne pour qui l’héritage cinématographique n’est plus qu’un prétexte à des jeux stupides, suivie par une scène assez drôle avec des carabinieri irrités par la fameuse baignade), constitue évidemment le centre brûlant de tout cet amour pour le passé du Cinéma. Jamais très loin de la tristesse, et de la résignation, alors qu’il faut bien que tous ces « fantômes » d’un passé glorieux admettent qu’ils sont déjà presque oubliés. Et qu’ils le seront, bientôt, totalement.
Bien sûr, les anti-wokes de tout poil rageront devant la « fluidité » des genres célébrée par Marcello Mio, et le refus de distinguer amours homosexuel et hétérosexuel : mais ces gens-là ont de toute manière arrêté de voir des films de Christophe Honoré depuis longtemps. Il faut dire, enfin, que Chiara Mastroianni est ici excellente, et qu’elle nous aide à avaler quelques longueurs, en particulier dans la dernière partie : avec vingt minutes de moins, en coupant certaines scènes au propos confus (sauf sans doute pour les protagonistes !), Marcello Mio aurait été bien meilleur. Parfait même, peut-être.
Eric Debarnot