Brian Evenson est un auteur reconnu, et on comprend pourquoi chaque fois qu’on le lit. Avec ces comptines pour un monde qui se dissout, il frappe encore très fort. C’est souvent horrible, quelquefois dégoûtant mais aussi très drôle.
Comptine pour la dissolution du monde est une des nouvelles qui compose et donne son titre à ce recueil. Elle raconte l’histoire de Drago et de Dani, sa fille. Drago est séparé de sa femme, mais n’accepte pas d’être séparé de Dani. Il s’enfuit avec elle. Malheureusement, Dani disparaît. Drago est complètement affolé. Il la cherche avec une telle instance que tout le monde finit par penser qu’il est coupable de quelque chose. La police vient, Drago les attend, ils peuvent venir, il n’a rien fait… vraiment ? Le doute s’installe. La réalité n’est pas celle qu’elle semblait être, elle se dédouble ou elle se déchire et on devine un autre monde… C’est ce que Brian Evenson appelle la dissolution du monde : le monde s’effiloche, se détricote et se mélange avec un autre monde, ce qui était réel ne l’est plus, se retrouve remplacé par quelque chose d’autre qui est aussi réel. Deux réalités qui se superposent plus ou moins bien – quelquefois les objets ou les personnages ne s’assemblent pas très bien et deviennent flous, leur peau ne s’ajuste pas au corps qu’elle recouvre.
Le résultat est excellent (ce qui n’est pas une surprise venant d’un auteur comme Brian Evenson). Le résultat est aussi totalement déstabilisant, en grande partie parce que les histoires sont souvent à la limite du compréhensible. Cela provoque un sentiment de malaise, parce que clairement, il y a quelque chose qui nous échappe (quand Brian Evenson raconte une histoire, ce n’est pas pour nous donner les clés pour la décrypter, à nous de nous débrouiller !). Ce sentiment bizarre est renforcé par la quasi-horreur que l’on peut éprouver à lire certaines histoires – la palme revient certainement à Chemises et peaux, dont le titre veut bien dire ce qu’il veut dire et parle bien de ce à quoi vous pensez. L’horreur ne vient certainement pas des litres de sang qui inonderaient ces pages. Mais ce n’est pas toujours horrible, ou plus exactement cette horreur peut être drôle. Brian Evenson a aussi le sens de l’humour : Le trou, histoire d’alien qui phagocyte les corps d’explorateurs spatiaux qu’on ne comprend que petit à petit et qui est à mourir de rire ! Tout comme Le monde chatoyant (un homme habillé en costume lamé sauve la vie d’une femme ; oui, dit comme ça, ça n’a l’air de rien, mais c’est trompeur). Ou encore Lunettes (Geir achète des lunettes « biofocales » qui lui donnent accès à l’autre monde, mais ce n’est pas une bonne idée).
Oui, parce que ce recueil mélange des nouvelles qui parlent du monde que nous connaissons, ou qui lui ressemble fortement, avec des nouvelles de science-fiction ou d’autres quasiment d’heroïc fantasy. Un mélange particulièrement salutaire qui rappelle Richard Matheson ou Harlan Ellison, avec peut-être quelquefois aussi un peu de Dino Buzzati. C’est le genre d’auteur qui se et nous rappelle que la réalité n’est pas une et qu’il ne faut jamais être trop rationnel ou rationaliste !
Alain Marciano