Avec J. Bernardt, son projet parallèle à Balthazar, Jinte Deprez nous offre dans son second album, Contigo, une suite de chansons pop-soul sophistiquées et superbement orchestrées, qui, paradoxalement, sonnent très proches de… Balthazar !
On ne présente évidemment plus Balthazar, fleuron d’un rock belge pourtant riche en talents et en groupes exceptionnels, dans tous les genres musicaux. Rappelons néanmoins que le groupe de Courtrai a deux « co-leaders », Maarten Devoldere, fan de Cohen et de Tom Waits, et Jinte Deprez, plutôt branché groove et classe sensuelle : c’est la rencontre improbable de ces deux tendances musicales qui a fait de la musique de Balthazar quelque chose d’aussi original, capable de recruter des fans aussi bien chez les puristes du rock indie que dans le grand public. Si le projet parallèle « solo » de Devoldere, Warhaus, a logiquement quelque chose de folk, celui de Deprez, J. Bernardt, démarré en 2016, veut plutôt nous séduire, nous faire danser et finalement nous faire fondre : pas vraiment de surprise…
Contigo (rappelons pour les francophones intégristes que « contigo » signifie « avec toi » en espagnol) est le second album de J. Bernardt, après un Running Days plutôt électronique. Et, une fois passée une brève introduction au violon très cinématographique, Rio (Jinte, on t’aurait encore plus aimé si tu avais appelé ton album « com você »), le premier véritable titre, et single, Taxi, rappelle très très fort… Balthazar ! Le groove, les violons, l’atmosphère sensuelle et mystérieuse, la tension érotique imprégnée d’une certaine tristesse, tout est là. Taxi est une chanson post-rupture, classique. Comment survivre immédiatement ensuite ? Prendre un taxi et s’enfuir : « Can you please drive me to a point of no return / There’s a night shop and a gas station / To the right and the next turn / Please don’t turn on the music / I need to empty my head » (Pouvez-vous s’il vous plaît me conduire jusqu’à un point de non-retour / Il y a un magasin de nuit et une station-service / À droite et au prochain virage / S’il vous plaît, n’allumez pas la musique / J’ai besoin de me vider la tête). Tristesse, oui, mais désespoir, car chez Deprez, la vie est tout sauf sombre, et les violons romantisent la fuite non sans un certain excès : on a entendu dire qu’on est proche du travail de Jean-Claude Vannier sur le Melody Nelson de Gainsbourg, on veut bien le croire.
C’est que Deprez est violoniste de formation classique, et les notes de pochette nous informent qu’il a réalisé toutes les orchestrations de Contigo, en faisant un album réellement « solo » (il a composé les chansons, il chante, il joue, il programme les machines, il produit, il est ingénieur du son !), bien qu’intégrant une bande de potes qui ont formé un véritable groupe.
Don’t Get Me Wrong, enlevé et accrocheur, a tout d’un hit signé Balthazar. Par contre Last Waltz est une chanson soul classique et classieuse, et Contigo est une belle pièce – très cinématographique également – à l’atmosphère suspendue remarquable : il est logique que cette petite merveille ait donné son titre à l’album. Matter of Time – le premier titre composé par Deprez après une période de perte d’inspiration – poursuit dans la même veine intimiste, mais se distingue par une mélodie littéralement sublime : faites écouter ce titre en priorité à quelqu’un que vous voulez convaincre, il est irrésistible !
Mayday Call est plus… ordinaire, peut-être, mais parfaitement taillé pour la scène, avec ses riffs de violons et ses chœurs singuliers (et avec son irruption de cuivres dissonants !). Left Bathroom Sink est la première baisse d’inspiration (le syndrome classique du ventre mou en milieu des deuxième face ?), en dépit d’un final inspiré. Il nous autorise à pointer la seule faiblesse de l’album : une légère déficience en émotion, qui fait clairement défaut sur ce titre qui devrait être beaucoup plus touchant. Trop lisse peut-être dans sa production, Contigo n’est pas tout à fait le GRAND disque qu’il pourrait être (les détracteurs de Balthazar reprochent d’ailleurs un peu la même chose au groupe…). I’m The Ghost You Forgot est une jolie chanson toute simple, soul et mélodique, qui nous emporte dans une rêverie délicieuse. Our Love Was Easy est le titre le plus dépouillé, le moins orchestré de l’album (même si des chœurs s’invitent – sans doute inévitablement – vers la fin) : malheureusement une chanson peu marquante.
Heureusement, la conclusion sur le titre Free a quelque chose de « morriconien » dans ses sifflements introductifs et ses accords de guitare, et retrouve une belle splendeur « cinématographique », sans, heureusement, en faire trop. Free pose avec grâce une jolie question existentielle : « Now it’s all said and done / What do we call this one ? / Are we lonely / Or are we finally / Free ? » (Maintenant que tout a été dit et a été fait / Comment appelle-t-on où nous en sommes ? / Sommes-nous seuls / Ou sommes-nous enfin / Libres ?). C’est beau, c’est délicat, c’est une conclusion splendide à un album réussi. Qui devrait en outre largement convaincre le public de Balthazar.
Eric Debarnot