A deux doigts de la rupture entre chaque sortie, DIIV parvient une fois encore à s’accorder le temps d’un album, le quatrième du groupe, dans un nouveau jet shoegaze de qualité.
On ne sait trop par quel miracle DIIV est encore un groupe actif. Depuis 2011, année de sa création, le band mené par Zachary Cole Smith n’a publié que quatre albums, celui-ci compris. Non pas par nécessité de couper l’élan créatif entre chaque, mais par une multitude de couacs, d’incidents et de tensions émaillant la vie et l’équilibre du quatuor – changé à 50% déjà en une décennie.
Frog in Boiling Water n’a donc pas dérogé à la règle. Il a en effet fallu cinq ans pour le mettre sur pied, repoussé inlassablement par des péripéties en tout genre. La première d’entre elle, assez inévitable, la crise du Covid. Alors que sort Deceiver fin 2019, DIIV se décide à enchaîner rapidement et repart au charbon du studio pour concevoir une suite. Évidemment, peine perdue. Chacun dans leur coin, les membres finissent par déborder d’idées pas toujours compatibles les unes aux autres et les vieux démons de ressortir du placard. Une mise au vert en guise de retrouvailles ne change rien à la donne et face à l’impasse, la troupe fait appel à un élément extérieur, le producteur Chris Coady, pour tenter d’apporter une autre vision dans un rôle de juge de paix.
C’est dans ce processus long et douloureux que s’est construit ce disque où l’on retrouve pourtant immédiatement tout ce qui fait le sel shoegaze du groupe. Comme s’ils ne s’étaient jamais arrêtés, comme si le précédent était sorti la veille. Les mêmes effets planants, ces plages à la fois brûlantes et envoûtantes, qui ont influencé tous les petits jeunes de la scène d’aujourd’hui. Et le tout porté par la voix discrète, tout en contraste de Cole Smith.
Brown Paper Bag, Raining on Your Pillow, Little Birds sont autant de tracks venus renforcer une collection de titres déjà solides en catalogue.
Rien ne viendra étonner ou mécontenter l’auditeur, ni de bonne ni de mauvaise surprise ici, DIIV fait ce qu’il sait faire de bien sans chercher à se réinventer. On notera tout de même une tendance à ralentir le rythme, à moins user de sa guitare pour trouver un consensus plus mélodique et apaisé. Peut-être les effets de la récente paternité de Zach couplé à la patte Coady, lui l’habitué du velours indie et dreampop avec Beach House par exemple et dont on peut trouver ici, par légères bribes discrètes, quelques douces similitudes (Reflected, Everyone Out, Soul-net).
L’ensemble est d’une homogénéité sans faille, tout s’imbrique et déroule naturellement sans perturber l’écoute. A tel point que le titre de l’album « une grenouille dans l’eau bouillante » et sa fameuse fable scientifique selon laquelle l’animal ne réagirait pas à l’augmentation à petite dose de la chaleur de l’eau jusqu’à bouillir trouve ici une juste métaphore. On se laisse en effet entraîner jusqu’à finir ankylosé par cette ambiance musicale feutrée ô combien agréable, sans chercher à s’en extirper.
On ne sait pas combien de fois, ni même dans combien de temps nous reverrons DIIV, alors il serait dommage de ne pas profiter de ce qu’ils ont encore à nous proposer, surtout lorsque la qualité est au rendez-vous.
Alexandre De Freitas
DIIV – Frog in Boiling Water
Label: Fantasy Records
Date de sortie: 24 mai 2024