Paris brûlait littéralement lundi soir : fallait-il aller voir Clapton, Fat White Family ou Beth Gibbons ? Il aurait été mieux de ne pas avoir à choisir, et nous avons finalement préféré la release party française de Contigo, le nouvel album – superbe – de J. Bernardt.
Il y a, on le sait, des soirées parisiennes où l’amateur de musique un peu versatile souhaiterait que le clonage soit opérationnel. Ce soir, le choix est cornélien : on peut aller au musée de l’Accor Arena payer son tribut au passé avec Éric Clapton ; on peut pleurer (mais assis) avec Beth Gibbons, la grande prêtresse glacée de la tristesse infinie, revenue parmi les mortels à Pleyel ; on peut admirer à la Cigale l’un des groupes contemporains les plus passionnants, Fat White Family, en train d’atteindre une sorte d’apogée de leur trajectoire magnifique… ou on peut aller dans une mission d’exploration à la Boule Noire, découvrir sur scène une incarnation de Jinte Deprez, l’une des deux têtes chantantes de Balthazar, sous le nom de J. Bernardt. C’est cette option que nous avons choisie, après mûre réflexion, et non sans regrets par rapport aux opportunités manquées (choisir c’est renoncer, non ?), la découverte de nouvelles musiques étant l’une des choses les plus excitantes qui soient en notre foisonnante époque.
20 h 05 : En parlant de découverte, la soirée débute très fort avec Noémie Wolfs, qui a chanté un temps chez Hooverphonic, et est désormais en solo. Solo ? Pas tout à fait, car elle est accompagnée par Simon Cazier, le bassiste de Balthazar (on est « en famille » ce soir !), son compagnon, à la scène comme à la ville. Et très vite, Noémie nous annonce qu’ils vont se marier, avec un bel enthousiasme qui soulève évidemment des applaudissements dans la petite foule arrivée assez tôt : la Boule Noire est complète ce soir, mais comme toujours, les Parisiens ne se bousculent pas aux premières parties. Eh bien, les retardataires auront eu tort une fois de plus, car le set de Noémie (et Simon) est superbe : dissimulée derrière une allure de grande prêtresse gothique, Noémie déploie une synth pop aux mélodies accrocheuses, où sa voix remarquable fait des merveilles (sur le sublime Notorious, on n’est pas si loin de Lana Del Rey…). Les interventions rock de Simon à la guitare, aux claviers, ou à la basse, permettent aux chansons de déraper joliment quand elles courent le risque de sonner un peu trop disco conventionnelle. 30 minutes et six titres tous impeccables (trois de son dernier album, Wild At Heart, à écouter d’urgence, et trois de son disque précédent, Lonely Boy’s Paradise), avec un final particulièrement enthousiasmant sur le très beau Lonely Heart. Encore une artiste belge à suivre : vive l’invasion des talents de nos voisins préférés !
21 h : C’est dans un format rock « classique » que J. Bernardt va donc nous offrir notre « release française » de son superbe second album, Contigo. Ce qui suppose évidemment une approche différente de titres pour la plupart orchestrés de manière complexe sur le disque. Jinte rentre d’ailleurs sur scène comme un tourbillon, alignant les postures Rock archétypales, comme s’il voulait marquer la différence entre ce qu’il est au sein de Balthazar et ce qu’il fait en solo. Le son est très fort, et les morceaux sont joués de manière souvent rentre-dedans, avec moins de subtilité : dès l’ouverture de Don’t Get Me Wrong, on comprend que l’on s’éloigne franchement du « son Balthazar » pour aller vers quelque chose de plus organique, de moins lisse aussi. Ce qui n’exclut pas de légers dérapages par moment, en particulier avec les vocaux – tout le groupe fait les chœurs – qui vont dans l’excès : reste que tout cela est plaisant, et finalement très généreux de la part d’un artiste dont on connaît la gentillesse et la sincérité. Contigo – la chanson – dégage des sensations plus positives que la version studio, et on se dit que l’interprétation en live de chansons de rupture amoureuse est certainement une thérapie efficace.
L’album Contigo sera joué ce soir dans son intégralité (enfin, sauf son introduction d’une minute), et le set d’une heure vingt minutes sera complété par quatre chansons de Running Days, le premier disque de J. Bernardt, datant de 2017. C’est d’ailleurs une interprétation magnifique – puissante, très rock – de The Other Man qui mettra réellement le feu aux poudres de la soirée (et restera, du coup, notre plus beau souvenir du set !). Le merveilleux Matter of Time souffre quant à lui du manque de délicatesse, mais, après une jolie explication de texte (en français, merci Jinte !) sur la signification de ce « lavabo de gauche », trouvé inoccupé chaque matin au réveil depuis le départ de l’autre, Left Bathroom Sink est superbe.
La dernière partie du set est très rock, Jinte se laissant aller au plaisir « rock’n’rollien » de maltraiter sa guitare, frottée sur le bord de la scène, ou heurtant le plafond, avant les chants et cris aigus (de libération ?) de Mayday Call, et la belle conclusion de Free. On aura encore droit à un rappel de deux titres – Our Love Was Easy en version solo – « ils sont en train de boire des bières », nous explique Jinte pour expliquer l’absence des musiciens, puis Last Waltz en belle valse pas si nostalgique que ça. Car, et c’est finalement toujours la même histoire, même si l’on a le cœur brisé, la vie continue.
Belle soirée donc, avec un public extrêmement engagé et un artiste clairement dans la générosité. Il sera intéressant de revoir le set dans quelque mois, quand J Bernardt repassera par Paris (au Trabendo) et que le set sera mieux rodé.
Texte et photos : Eric Debarnot