Succédant à un premier album solo remarqué, Fortunes Favour, il y a deux ans, Somewhere Between Dark And Light est une œuvre maîtresse qui pourrait bien établir le relatif inconnu qu’est Ed Cosens comme l’un des nouveaux auteurs-compositeurs majeurs Outre-Manche.
Avez-vous déjà entendu parler de Ed Cosens ? Peu probable, à moins que vous ne soyez familier du groupe Reverend and The Makers, au sein duquel il joue – un peu au second plan derrière le leader, Jon McClure – depuis 20 ans. Et pourtant, aujourd’hui, outre-Manche, certains le considèrent comme LA relève en tant qu’auteur-compositeur de premier plan. Et la parution de son second album, Somewhere Between Dark and Light (deux ans après le premier, Fortunes Favour), agite le microcosme de la musique anglaise, les superlatifs s’empilant à son propos. Il est régulièrement comparé au fabuleux Richard Hawley (assez discret, quant à lui, ces dernières années), ce qui s’explique aisément par l’ampleur quasi cinématographique de certains de ses morceaux, mais sans doute plus encore par une capacité similaire à écrire des chansons terriblement tristes qui dégagent finalement une lumière éblouissante. Ce qui est exactement ce dont parle ce nouvel album.
La comparaison avec Hawley, pour fondée qu’elle soit (en plus, Hawley était lui aussi un second couteau au sein d’un groupe où on ne le remarquait pas particulièrement,… sauf que ce groupe était… Pulp !), est sans doute dangereuse pour Cosens, qui n’est pas un baryton, et n’a pas la même classe vocale. Cosens chante bien, mais pas exceptionnellement. Par contre, ses chansons sont parfaites, dans une veine assez pop, parcourant un spectre musical plus large : des Beatles à Arctic Monkeys, en passant par Echo and The Bunnymen (Here Comes The Rain a quelque chose de The Killing Moon, mais on ne saurait le retenir contre Cosens…).
Même s’il ne dure qu’une minute, et est purement instrumental, il ne faut pas négliger le titre éponyme qui ouvre Somewhere Between Dark and Light : Cosens explique l’avoir créé en prenant bien garde qu’il explicite le parcours de l’obscurité à la lumière de son album. Mais, loin de s’ouvrir sur l’obscurité, When I’m Done Running, écrite en hommage à son épouse, est une chanson pop très classique, avec des sonorités US et un bel envol lyrique dans sa dernière partie : soit une manière très positive d’entamer les choses. Stay With Me, ses guitares qui tempêtent et son atmosphère martiale et déterminée, appellent en effet les comparaisons avec Richard Hawkley : mais la différence est que Cosens construit ici un effet « feelgood » irrésistible, qui positionne également le titre du côté de la lumière. In the Light est la première pure merveille du disque, grand moment de romantisme porté par une orchestration ample sur lequel Cosens pose une mélodie implacable, qui devrait convaincre la terre entière de l’écouter. Cosens raconte que ce morceau a été le plus complexe à construire, et qu’il est en quelque sorte la meilleure illustration du concept du disque.
Doghouse est le morceau le plus soul, et adresse le sentiment que nous avons tous eu par moments, en particulier lors du confinement, d’être inutiles, contraints à l’enfermement loin de ce qui importe vraiment. Suckerpunch, l’un des singles, est un commentaire sur notre impuissance face aux coups que la Vie nous assène : c’est paradoxalement l’un des moments les plus faibles de l’album, il a quelque chose de superficiel qui ne rend pas hommage à l’inspiration générale des autres morceaux.
Tiny Boxes est une chanson des plus classiques (d’abord voix + piano, avant que le reste des instruments ne s’invitent) qui permet à Cosens d’exprimer l’importance de la paternité et de son amour pour ses deux enfants (« All that I have to give, I wrap it in tiny boxes, small enough to fit around your heart and in your pocket » – Tout ce que j’ai à donner, je l’emballe dans de petites boîtes, suffisamment petites pour tenir autour de ton cœur et dans ta poche) : d’une efficacité imparable. Starts All Over est le genre de morceau pop qu’Alex Turner aurait pu composer et chanter sur le second album d’Arctic Monkeys, mais cette évidence plaisante s’effrite à mi-course quand Cosens retourne le propos pour en faire une constatation angoissée des mensonges dont on l’a nourri : « All my life, it feels like I’ve been waiting » (Toute ma vie, j’ai l’impression d’avoir attendu).
Fountains Of Youth est un autre sommet du disque, dénotant une maîtrise totale de la part de Cosens de tout ce qui fait une excellente chanson classique : l’envol final est certes prévisible, mais totalement jouissif ! Little Boy est le genre de parenthèse country-folk dont un Paul McCartney était coutumier dans ses meilleurs albums solos, avec un violon qui vient injecter une dose bien traditionnelle de mélancolie. « Sitting in the corner, doesn’t know what he wants to be… the little boy is me » (Assis dans un coin, il ne sait pas ce qu’il veut devenir… le petit garçon, c’est moi) : un souvenir de ses inquiétudes enfantines ? Here Comes The Rain est, enfin, la dernière pièce maîtresse du disque, avec, on l’a dit, un côté franchement Echo and The Bunnymen, une référence qui veut tout dire (d’autant que peu de groupes et d’artistes actuels reconnaissent l’influence du génial groupe de Liverpool).
L’album se referme sur I’m On Your Side, le titre le plus long, mais aussi l’un des plus positifs, revenant sur les sentiments heureux de When I’m Done Running. Ce qui nous fera dire que, s’il y a un échec dans le projet d’Ed Cosens, c’est bien que, contrairement à ses dires, l’impression qui se dégage de la majorité des titres est bel et bien lumineuse, enthousiasmante même parfois. Mais, en ces temps difficiles, on ne voit pas comment le lui reprocher : on ne refusera pas une si belle collection de chansons « classiques » qui font du bien par où elles passent, entre nos deux oreilles…
Eric Debarnot