Christopher Brookmyre, le nouveau roman du roi du polar écossais, emprunte les chemins d’Agatha Christie avec ses multiples rebondissements qui mettent ses protagonistes face à leur part d’ombre. Sans convaincre totalement.
Hommage aux Dix Petits Nègres ? ou énorme ressemblance ? On ne tranchera pas ici sur le dessein de Christopher Brookmyre, auréolé de nombreux prix littéraires et d’une aura écossaise méritée, d’avoir convoqué la reine du roman policier à l’anglaise, mais les ressemblances sont frappantes. Jen invite toutes ses amies proches (ou dont elle s’est un peu éloignées) pour enterrer sa vie de jeune fille, même si l’on parle ici d’une deuxième union. Et que certaines des copines rassemblées ne sont plus toutes jeunes aussi. Week-end loin de tout, dans une île écossaise isolée, où l’on range ses problèmes dans sa valise pour profiter de trois jours de retrouvailles, de fête et d’alcool. Sauf que… le cuisinier embauché pour l’événement est retrouvé sur le sol de la cuisine, gorge tranchée, avant le premier repas. Et que sur les enceintes de la maison résonne une mystérieuse voix, décidée à faire payer à chacune un passé trouble et caché qui les obligera à tout dévoiler et faire exploser leurs relations…
Tous les ingrédients d’un Christie, donc. Mais sans Hercule Poirot. Et c’est toute l’originalité du roman qui ne s’embarrasse pas d’un enquêteur pivot pour faire passer tous les personnages aux aveux, ils le feront eux-mêmes, forcés par cette mystérieuse voix qui agit comme une emprise totale. Jen et ses comparses, tout en tentant de comprendre le meurtre et d’en empêcher des suivants, devront petit à petit déterrer secrets et révéler des moments sombres de leur passé qui ont, à un moment donné, agi sur leurs relations actuelles. Meurtre, embrouilles, tromperie ou lâcheté en ébullitions face à des femmes qui ne peuvent que se mettre à nu pour sauver leur face ou leur peau.
Là où le bât blesse, c’est sur les dénouements du dernier tiers de ce livre impeccablement mené jusque là, et qui virent parfois à l’invraisemblance, ou plutôt à des incohérences : difficile d’en parler sans dévoiler, mais Brookmyre semble s’adonner aux petits tours de passe-passe narratifs pour maintenir ce bateau-thriller à flots, qui font parfois froncer ou lever les sourcils. Son plaisir demeure franchement dans les retournements de situations et de points de vue, permettant au lecteur de s’étonner de ne pas avoir vu tel ou tel rebondissement arriver, mais l’ensemble est au final un peu tiré par les cheveux afin que l’intrigue retombe a minima sur ses pattes. Ce n’est en rien grave, mais cela gâche un peu le plaisir final.
Ne pas pour autant gâcher une lecture captivante et rondement menée de ce bal des captives dans cet île isolée, propice aux révélations les plus délicieusement noires… et imbibées de bon whisky écossais !
Jean-François Lahorgue