On va à un concert de Bodega comme on va à la fête, et on sait qu’on est jamais déçu. Une fois encore Paris a cédé jeudi soir devant la bonne humeur et la décharge électrique, régulièrement frénétique, du meilleur groupe new-yorkais. Mais où étiez-vous ?
Partir pour un concert de Bodega en ayant toujours en tête la claque superbe que le groupe nous a mis deux ans plus tôt, c’est certainement la meilleure garantie d’être déçu, mais pourquoi le cacher, nous sommes pleins d’espoir quand nous nous dirigeons vers le Trabendo ce jeudi, sous un ciel pluvieux comme si le printemps n’existait définitivement pas en 2024. Peu de gens ce soir à faire la queue, d’ailleurs la salle ne sera pas remplie à la mesure de ce que mérite l’un des groupes les plus réjouissants que l’on puisse applaudir sur scène – et ce depuis quelques années déjà…
20h00 : On n’est que quelques dizaines de spectateurs (mais des spectateurs heureux !) pour accueillir CIEL, combo indie rock de Brighton, petits protégés de Blood Red Shoes, qu’on avait déjà pu apprécier en octobre 2023, en première partie de ces derniers. La mauvaise nouvelle est que Jorge, leur guitariste madrilène – qui nous avait impressionnés à l’époque – est parti, et qu’il a été remplacé par une jeune femme dont le jeu de guitare nous aura paru plus conventionnel. Plus noisy aussi, ce qui prive un peu CIEL de sa légèreté. Mais bon, on chicane, on chicane, parce que CIEL, ce sont avant tout des chansons épatantes, qui vous séduisent instantanément, et c’est aussi la voix de Michelle, brindille néerlandaise plutôt fascinante sur scène. Ils nous ont offert ce soir encore 30 minutes sans une scorie : c’est frais, c’est énergique, c’est plein d’idées sympathiques, même si ça reste très fidèle aux codes d’un rock indie parfumé de dream pop et rehaussé d’explosions noisy. Un de ces groupes qu’on s’attendrait à voir réussir… Enfin, si ce genre de musique intelligente et racée pouvait encore être populaire…
21h00 : On ne va pas y aller par quatre chemins : Bodega, c’est depuis quelques années ce qui se fait de mieux dans le Rock new-yorkais – et oui, on les place même devant les fabuleux Parquet Courts, mais ces derniers ont l’excuse de ne pas être vraiment new-yorkais. Leur dernier album, Our Brand Could Be Yr Life – avec ce concept fabuleux de l’ATM (le distributeur automatique de billets) comme symbole d’un capitalisme absurde, mais aussi de la trivialisation de l’Art par le Commerce – est sans doute le plus facile à appréhender, le moins « barré », mais on sait bien de toute manière que, comme tous les grands groupes de Rock, Bodega en live n’a pas grand-chose à voir avec Bodega sur album. Et ce soir, avec une méga déflagration électrique livrée sur un lit de percussions démentielles, Bodega va continuer à nous réjouir. Profondément.
Ben Hozie porte une toque en fourrure, absurde, d’une belle hauteur, qu’il ne quittera pas durant les quatre-vingt-dix minutes du set… mais qu’il accrochera au micro dès la dernière note jouée : on suppose qu’il s’agissait là d’un pari ? Nikki Belfiglio cristallise toujours l’attention au centre de la scène, jouant de sa baguette magique (peinte en rouge !) comme une brillante élève de Hogwarts (elle a bien un look Harry Potter, en fait, maintenant qu’on y pense !). Adam See est un bassiste souriant et spectaculaire, Adam Shumski est le batteur debout parfait derrière son mini-kit depuis que Mo Tucker a pris sa retraite, et Dan Ryan, tout à droite, fait un beau boucan avec sa guitare. Bien, alors que la vidéo de l’ATM tourne en boucle derrière le groupe, la scène est posée. Place à l’action !
Et l’action, c’est 28 titres (en agrégeant en un seul les trois parties de Cultural Consumer) joués en une heure et demie, à un rythme d’enfer, comme si la vie de tout le monde dans la salle en dépendait. Oh, bien sûr, les quinze premières minutes du set sont un peu molles : comme toujours, Bodega est un groupe qui a besoin de s’échauffer avant de livrer toute la mesure de son talent. Mais il suffit de patienter et tout s’emballe : le pilonnage implacable de nos oreilles et nos cerveaux débute, et ne semble plus jamais s’arrêter. Ce soir, Bodega, c’est une sorte de revue de détail du punk rock new-yorkais des 50 dernières années, des Ramones à Parquet Courts en passant même par l’étape hardcore US. Le tout avec un chant largement scandé, presque hip hop parfois (ATM, justement, qui ouvre le set !), posé sur des rythmes martelés par les percussions de Nikki et Adam, pour nous emporter dans un tourbillon de plus en plus frénétique.
On regrettera un instant que le Bodega de 2024 joue plus dur qu’autrefois, soit moins fantaisiste, mais il nous suffit de nous laisser emporter par cette machine infernale pour oublier : on reconnaît au milieu de la déferlante punk des morceaux aimés, l’hymne « à la Pavement » Jack in Titanic ou le fabuleux rush d’adrénaline qu’est Statuette On The Console, mais dans l’ensemble, on ne prête plus trop attention aux chansons, on oublie les concepts intellectuels et sophistiqués derrière la musique, et on plonge à pieds joints dans le plaisir simple et régressif qu’ils nous offrent.
Au bout d’une heure et quart, nos amis mettent un terme au set principal, non sans avoir jeté dans la salle des billets de 1000 $ (des faux, rassurez-vous !), mais reviennent pour un rappel facétieux, qui débute par une chanson qu’ils ont composée pour être l’hymne de la Route du Rock, un festival qu’ils aiment (et ils nous demandent si nous avons le contact pour que le festival sache que la chanson est prête). Il y aura aussi une reprise amateure et assez mal fagotée d’un titre de Pavement, histoire de montrer que personne ne se prend au sérieux ici, avant de boucler la soirée sur un How Did This Happen?! ravageur.
Moralité : même si la soirée était en deçà de celle de 2022, Bodega évoluent mais gardent cette générosité étonnante, cette capacité à nous faire plaisir qui les a toujours caractérisés. Et qui fait que nous les ADORONS !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Merci de nous avoir fait découvrir ce groupe magnifique. Nous étions, sur vos conseils, au Trabendo avant hier et ce fut un très bon moment passé en leur compagnie. des musiciens souriants et heureux d’être là, des chansons imparables, un leader modeste qui laisse la place au centre à ses camarades, c’est rare !
enfin, concernant le public, il y avait quant même du monde dans la salle, et beaucoup de gens dansaient, surtout à l’arrière de la fosse.
bref, une très bonne soirée !