A Tombeau Ouvert évoque par son thème et la nervosité de son rythme un Taxi Driver réactualisé, se révèle finalement un film de Scorsese à la fois trop évident – au risque du ressassement – dans ses thèmes « schraderiens » et épuisant par sa noirceur et son pessimisme hallucinatoire.
New York, toujours. Après les incursions vers Vegas et le Tibet, et avant de pouvoir enfin s’atteler au projet de sa vie que sera Gangs of New York, Scorsese replonge dans sa ville, avant l’ère de la tolérance zéro de Giuliani, pour pouvoir en explorer les bas-fonds.
Sorte d’excroissance de Taxi Driver, écrite par le même Schrader, A tombeau ouvert imagine un nouvel ange face à l’enfer : non plus exterminateur, mais salvateur, en la personne d’un Nicolas Cage qui troque le taxi contre une ambulance de nuit. Le jazz mélancolique laisse place à une playlist rock survitaminée, de Van Morrison au Clash en passant par R.E.M. et Johnny Thunders.
Cette rythmique infernale colle parfaitement aux nuits successives de service durant lesquelles Frank enchaine les collègues, tous plus dingues les uns que les autres ; services débordés par une cour des miracles, visions hallucinées dans une gradation constantes offrent de belles séquences. Scorsese s’en donne à cœur joie, dans une lumière blafarde, cramée par la froideur des néons, tournant sa caméra en tous sens, rivé au point de vue d’un homme qui perd pied face à la misère du monde.
Quelques traits d’humour, surtout dans la première partie, dynamisent un peu cette noirceur, notamment dans les personnages des binômes de Frank, évangélistes allumés ou nettoyeurs barges, dans une ambiance Urgences du quart monde assez décapante.
Mais cette vigueur clipesque, pour séduisante qu’elle soit, n’en est pas moins redondante, et n’est surtout que l’emballage pour un scénario qui va reprendre les obsessions religieuses du réalisateur avec une subtilité discutable. La compassion sacrificielle de Frank, assez pesamment explicitée par une voix off, déploie le catalogue des visions poussives (comateux qui lui parlent, fantôme d’une jeune SDF morte sans qu’il ait pu la sauver, puis de tous les morts miséreux de la ville…) et des symboles du même tonneau : le dealer se retrouve crucifié face à un feu d’artifice, le personnage féminin s’appelle Mary, et finira par être sa pietà, tandis que notre bon samaritain apprendra à rester témoin sans faire siens les stigmates (Nicolas Cage a déjà le faciès d’un chien maltraité, mais on atteint ici un climax que Brigitte Bardot elle-même réprouverait) d’un monde en pleine décadence.
La ville est devenue folle, le film s’en fait l’écho ; il lui manque ce recul, cette compassion par la mélancolie qu’avait Taxi Driver, et qui en faisait un grand film : à trop coller au point de vue de ses personnages torturés, Scorsese perd une part de ce surplomb qu’on pourrait qualifier de sagesse.
Sergent Pepper