Laurent Gaudé raconte les attentats du 13 novembre 2015 dans un roman choral qui célèbre « l’humanité restée debout », en faisant entendre les voix des victimes ou témoins qui les ont vécus.
Par un vendredi de novembre étonnamment doux, elles, ils, se réjouissent de la belle soirée qui les attend, pour les uns au Bataclan, pour les autres dans un bar ou un restaurant du Xe arrondissement. Une fille va retrouver son amoureuse et rêve du premier baiser qu’elles échangeront. Des sœurs jumelles, dont l’une vit à Paris et l’autre à Barcelone, s’apprêtent à fêter ensemble leur trentième anniversaire. Une jeune mère de famille excédée décide d’aller s’amuser sans son compagnon… Nous sommes le vendredi 13 novembre 2015 et, dans quelques heures, les terroristes de Daesh abattront 130 personnes et en blesseront plus de 400.
Comment un écrivain peut-il rendre compte de cette nuit d’horreur ? Laurent Gaudé, cherche à faire, non le récit des faits – l’historien s’en chargera – mais le récit des âmes ». Ce récit, il va l’élaborer à partir de multiples témoignages recomposés et fondus entre eux. Naîtra ainsi un chant polyphonique où se succèderont, s’entremêleront les voix des vivants et des morts. Voix des victimes mais aussi des intervenants et des témoins : le commissaire de police qui arrivera le premier au Bataclan, le médecin urgentiste qui fera le tri des blessés, les habitants de l’immeuble au-dessus du « Carillon », les voisins d’en face, les passants…
« Terrasses » : le mot, dit Gaudé, est « un concentré de douceur de vivre », tout en n’étant pas très éloigné de l’adjectif « terrassé » . Un « concentré de douceur de vivre » qui se fait, en l’espace de quelques secondes, concentré d’horreur. Ils étaient venus rencontrer l’amour, célébrer l’amitié ou simplement bavarder autour d’un verre ou vibrer dans une salle de concert. Ils ont trouvé la terreur et le sang, ont subi l’impensable, Pourtant, dans Terrasses, c’est la vie que Gaudé met en avant. Les gestes , les mots et les regards qui s’échangent, les sentiments et les désirs qui, des années après, se disent encore au présent. Et aujourd’hui , les terrasses sont toujours pleines . Non, Paris, traversé par la mort, n’a pas été terrassé.
Des moments aussi ordinaires qu’émouvants, des personnages qui ne sont pas des héros et vont devenir des martyrs. Des proches, brutalement amputés d’une fille, d’un père, d’un ami. De simples témoins à jamais meurtris…. Pourtant, à la barbarie et au chaos , l’auteur oppose la solidarité, le mouvement, la vie, faisant de Terrasses un texte de consolation collective, où le « nous » vient souvent se substituer au « je » . « Notre long baiser si longtemps retardé » c’est aussi le nôtre, celui qui fait aimer cette vie pour laquelle Laurent Gaudé a construit ce chant « opposé à la terreur » et propre à célébrer « l’humanité restée debout ».
Anne Randon