On connaissait les BD de David Snug, les disques de Trotski nautique, et on a découvert le groupe récemment sur la scène du Point Ephémère. Il était grand temps d’interviewer David Snug, l’un des deux membres du groupe. Un artiste peu ordinaire qui est venu à pied à notre rendez-vous, bien sûr.
Benzine : On a été super emballés par votre set au Point Ephémère, avant GaBLé. Est-ce que tu peux nous raconter la genèse de Trotski nautique ?
David : C’est marrant parce qu’avant de faire Trotski nautique, à la fin des années 90, au début des années 2000, j’étais en Normandie, Je faisais de la musique dans plusieurs groupes, et on avait un tout petit label, Boudiou Records : c’était les débuts d’Internet, on n’avait pas les moyens d’aujourd’hui, on sortait les disques en CD-R. Et on avait sorti le premier disque de GaBLé avant qu’ils ne signent avec un label anglais. C’est pour ça que, comme ils jouaient à Paris, ils nous ont invités. En Normandie, j’ai rencontré Aude, à un festival de Jazz où je bossais en tant que bénévole de la ville. Aude était traductrice en russe et en italien, on a donc décidé de former un groupe où elle chantait en russe, on l’a appelé Top montagne, qui était une erreur de traduction de ma part. J’étais fan de Daniel Johnston, j’ai voulu prendre un de ses titres de chansons : Mountain Top, j’ai traduit par « Top Montagne ». Moi j’écrivais n’importe quoi, je me disais : « Vu que ça sera traduit en russe, les gens ne vont pas comprendre » ! Et puis, de temps en temps, il y avait des gens qui rigolaient : quand il y avait des Russes dans la salle, ils se marraient, alors que notre musique était du folk pas particulièrement drôle. Et donc, après, on s’est dit autant le faire en français, pour que tout le monde rigole. On a changé le nom en Trotski nautique.
Benzine : Et ce choix de l’humour, ça s’est imposé rapidement ?
David : C’est assez bizarre parce que je n’écoute pas du tout de musique, euh… humoristique (je ne sais pas comment dire…). Drôle ? J’écoute plutôt des trucs sérieux, mais dans les concerts, je n’y arrive pas. Mais ce qui est bien, c’est que, du coup, on n’a pas les codes de la chanson drôle. Ça me fait penser à Lewis Trondheim en BD, quand il a lancé le Donjon, il disait qu’il n’avait plus d’idée de BD, alors il allait prendre le genre qu’il détestait le plus, l’heroic fantasy, pour pouvoir inventer ses propres codes.
Benzine : Au Point Ephémère, le public a formidablement réagi à ton set, tout le monde était à fond, et ça a même contaminé la performance de GaBLé. Il s’est passé quelque chose, quand même…
David : Il y avait pas mal de copains dans la salle (rires). Mais ça marche bien partout. Nous, on joue beaucoup dans des tous petits lieux, dans des bars, mais au Point Ephémère, ça marchait aussi. Peut-être parce qu’il n’y a avait pas encore grand monde quand on a joué. Je n’aime pas emmerder le public, mais si les gens répondent, j’aime bien discuter avec eux. J’avais peur du point Ephémère, mais finalement ça m’a semblé pareil que de jouer dans un bar.
Benzine : Formellement, la musique de Trotski nautique, c’est assez synth pop ?
David : Ça s’est fait au fur et à mesure. Au début, je jouais de la guitare sèche, Aude faisait du concertina, il y avait les flûtes à bec… qu’on a gardées. Je tapais sur une valise pour faire la batterie. Mais c’était difficile à sonoriser, il fallait mettre des micros. On est passés à l’électronique qui était beaucoup plus simple à sonoriser, et puis, comme on habite à Paris, ça nous a évité de louer des locaux de répétition. Et on fait tous nos déplacements en train, tout doit tenir dans un sac à dos… Enfin, au Point Ephémère, on est venus à pied ! (rires)
Benzine : S’adapter aux contraintes matérielles…
David : J’aime bien les contraintes. Par exemple, à un moment, on s’est fixé de n’utiliser que des logiciels Open Source. L’idée est que tout le monde puisse faire ce qu’on fait. On utilise le logiciel LMMS, qui est le plus pourri de tous, il faut quasi tout faire à la main (rires).
Benzine : Et ça fait donc 20 ans que vous faires ça, il y a plein d’albums sur les plateformes de streaming…
David : Oui, mais ça a toujours été un peu en dilettante, l’idée n’est pas de rentrer dans les trucs professionnels, de faire un album, puis d’enchaîner par une tournée, etc. Je ne sais pas, en fait, si en changeant d’échelle, on aurait le même rapport avec public, on ne pourrait plus parler aux gens.
Benzine : On retrouve dans Trotski nautique le même style d’humour que chez David Snug…
David : Les deux vont ensemble. Souvent, il y a des chansons qui viennent de BDs que j’ai faites. Par exemple, A bas l’humanité, c’était à l’origine un petit bouquin, qui va ressortir en 2025.
Benzine : Tu as commencé la BD avant la musique ?
David : Non, euh… je sais pas (rires). En fait, quand j’étais gamin, je dessinais tout le temps. Mais j’ai été vite attiré par la musique, ce qui était plus compliqué : mes parents sont ouvriers, la seule activité extra-scolaire, c’était le sport, et ils m’ont toujours dit « non » quand j’ai voulu faire de la batterie. Vers 16, 17 ans, on a acheté une basse à deux avec mon frère, on s’est fait avoir, elle était vrillée… (rires). J’ai toujours fait les deux à partir de là… La BD, ça plus marché, mais ça a été par hasard. Déjà dans les années 90, j’étais à la fac, il y avait l’Association à ce moment-là : on pouvait se dire, il y a moyen de faire de la BD sans savoir dessiner comme Uderzo. Mais c’est quand je suis arrivé à Paris en 2005, que ça s’est passé : j’étais animateur multi media à Marly-le-Roi, et j’ai commencé à dessiner des BDs autobiographiques dans le train, pour m’occuper, vu qu’il y avait une heure et demie de trajet. J’ai alors fait le truc qu’il faut pas faire, mais qui a marché pour moi : j’ai envoyé un mail groupé à tous les éditeurs indépendants, avec des pages que j’avais scannées, et les Enfants Rouges m’ont répondu qu’ils étaient OK pour sortir un bouquin.
Benzine : Par rapport à ces deux voies, la BD et la musique, comment tu vois ton évolution future ?
David : Pour la musique, tu vois, si on perdait ce côté amateur, je ne sais pas si ça marcherait. On a déjà fait des salles un peu plus professionnelles, et je me suis rendu compte que je ne voulais pas de ce côté « spectacle » : l’entrée en scène, tous ces trucs là… Nous, jamais on va se déguiser pour la scène, on va toujours jouer assis…
Benzine : Bon, il y a quand même des gens dans la musique qui ne sacrifient pas aux rituels du spectacle, comme Godspeed You! Black Emperor par exemple…
David : Oui, Mac DeMarco, aussi : quand je l’ai vu, ils ont laissé entrer le batteur tout seul sur scène, et ils ne sont pas venus le rejoindre. Ils étaient pétés de rire ! A la fin du concert, ils ne sont pas sortis de scène, ils ont commencé immédiatement à démonter eux-mêmes leur matériel. Remarque, on a quand même une chanson d’intro pour la scène, sur laquelle on ne fait rien, on reste là en attendant que ça s’arrête, ça crée un flottement de trois minutes : j’aime bien ces trucs-là… Bon, sinon comme projet, on va peut-être jouer à trois avec mon voisin, qui a récupéré un tuba, mais on sait pas encore si ça va marcher…
Benzine : Et l’actualité de David Snug ?
David : C’est toujours En marche ou grève, qui parle… de la marche à pied (rires). J’aime beaucoup marcher, ça me permet de trouver des idées pour la musique et les BDs…
Propos recueillis par Eric Debarnot le 6 mai 2024